« Je me fais vieux, j´ai soixante ans,
J´ai travaillé toute ma v
ie
Sans avoir, durant tout ce temps,
Pu satisfaire mon env
ie.
Je vois bien qu´il n´est ici-bas,
De bonheur complet pour pers
onne.
Mon voeu ne s´accomplira pas:
Je n´ai jamais vu Carcassonn
e! »
« On voit la ville de la-haut,
Derrière les montagnes bleues,
Mais, pour y parvenir, il faut,
Il faut faire cinq grandes lieues,
En faire autant pour revenir!
Ah! Si la vendange était bonne!
Le raisin ne veut pas jaunir,
Je ne verrai pas Carcassonne! »
« On dit qu´on y voit tous les jours,
Ni plus ni moins que les dimanches,
Des gens s´en aller sur le cours,
En habits neufs, en robes blanches.
On dit qu´on y voit des châteaux,
Grands comme ceux de Babylone,
Un évêque et deux généraux!
Je ne connais pas Carcassonne! »
« Le vicaire a cent fois raison:
C´est des imprudents que nous sommes.
Il disait dans son oraison,
Que l´ambition perd les hommes.
Si je pouvais trouver pourtant,
Deux jours sur la fin de l´automne...
Mon Dieu! que je mourrais content,
Après avoir vu Carcassonne! »
« Mon Dieu! Mon Dieu! pardonnez-moi,
Si ma prière vous offense ;
On voit toujours plus haut que soi,
En vieillesse comme en enfance.
Ma femme, avec mon fils Aignan,
A voyagé jusqu´à Narbonne ;
Mon filleul a vu Perpignan,
Et je n´ai pas vu Carcassonne! »
Ainsi chantait, près de Limoux,
Un paysan courbé par l´âge.
Je lui dis: « Ami, levez-vous,
Nous allons faire le voyage. »
Nous partîmes le lendemain,
Mais, que le bon Dieu lui pardonne!
Il mourut à moitié chemin:
Il n´a jamais vu Carcassonne!