En l´an trentieme de mon âge
Que toutes mes hontes j´eus bues,
Ne du tout fol, ne du tout sage,
Non obstant maintes peines eues,
Lesquelles j´ai toutes reçues
Sous la main Thibaut d´Aussigny...
S´evêque il est, seignant les rues,
Qu´il soit le mien je le regny !
Mon seigneur n´est ne mon evêque ;
Sous lui ne tiens, s´il n´est en friche ;
Foi ne lui dois n´hommage avecque ;
Je ne suis son serf ne sa biche.
Pû m´a d´une petite miche
Et de froide eau tout un été.
Large ou étroit, mout me fut chiche:
Tel lui soit Dieu qu´il m´a été.
Et s´aucun me vouloit reprendre
Et dire que je le maudis,
Non fais, se bien le sait comprendre,
En rien de lui je ne médis.
Veci tout le mal que j´en dis :
S´il m´a été misericors,
Jesus, le roi de paradis,
Tel lui soit a l´ame et au corps !
Et s´été m´a dur et cruel
Trop plus que ci ne le raconte,
Je veuil que le Dieu eternel
Lui soit donc semblable a ce compte.
Et l´Eglise nous dit et conte
Que prions pour nos ennemis.
Je vous dirai : " J´ai tort et honte,
Quoi qu´il m´ait fait, a Dieu remis ! "
[…]
Je plains le temps de ma jeunesse,
Auquel j´ai plus qu´autre gallé
Jusqu´à l´entrée de vieillesse,
Qui son partement m´a celé.
Il ne s´en est à pied allé,
N´à cheval ; hélas ! comment donc ?
Soudainement s´en est volé,
Et ne m´a laissé quelque don.
Allé s´en est, et je demeure
Pauvre de sens et de savoir,
Triste, failli, plus noir que meure,
Qui n´ai ni cens, rente, n´avoir ;
Des miens le moindre, je dis voir,
De me désavouer s´avance,
Oubliant naturel devoir,
Par faute d´un peu de chevance.
Si ne crains avoir dépendu
Par friander ni par lécher ;
Par trop aimer n´ai rien vendu
Qu´amis me puissent reprocher,
Au moins qui leur coûte moult cher.
Je le dis et ne crois médire ;
De ce me puis-je revencher :
Qui n´a méfait ne le doit dire.
Bien est verté que j´ai aimé
Et aimeraie volontiers ;
Mais triste coeur, ventre affamé
Qui n´est rassasié au tiers
M嫙te des amoureux sentiers.
Au fort, quelqu´un s´en récompense
Qui est rempli sur les chantiers !
Car la danse vient de la panse.
Hé ! Dieu, si j´eusse étudié
Au temps de ma jeunesse folle
Et à bonnes meurs dédié,
J´eusse maison et couche molle !
Mais quoi ? Je fuyaie l嫎cole,
Comme fait le mauvais enfant.
En écrivant cette parole,
À peu que le coeur ne me fend.
Le dit du sage trop lui fis
Favorable (bien en puis mais !)
Qui dit : " Éjouis-toi, mon fils,
En ton adolescence " ; mais
Ailleurs sert bien d´un autre mes,
Car " Jeunesse et adolescence "
C´est son parler, ni moins ni mais,
"Ne sont qu´abus et ignorance."
Mes jours s´en sont allés errant
Comme, dit Job, d´une touaille
Font les filets, quand tisserand
En son poing tient ardente paille :
Lors s´il y a nul bout qui saille,
Soudainement il le ravit.
Si ne crains plus que rien m´assaille,
Car à la mort tout s´assouvit.
Où sont les gracieux galants
Que je suivais au temps jadis,
Si bien chantants, si bien parlants,
Si plaisants en faits et en dits ?
Les aucuns sont morts et raidis,
D´eux n´est-il plus rien maintenant :
Repos aient en Paradis,
Et Dieu sauve le remenant !