un brouillard monta le même qui depuis toujours m’obsède tissu de bruits de ferrements de chaînes sans clefs d’éraflures de griffes
d’un clapotis de crachats un brouillard se durcit et un poing surgit qui cassa le brouillard le poing qui toujours m’obsède et ce fut sur une mer d’orgueil un soleil non pareil avançant ses crêtes majestueuses comme un jade troupeau de taureaux vers les plages prairies obéissantes et ce furent des montagnes libérées pointant vers le ciel leur artillerie fougueuse et ce furent des vallées au fond desquelles l’Espérance agita les panaches fragiles des cannes à sucre de janvier Louis Delgrès je te nomme et soulevant hors silence le socle de ce nom je heurte la précise épaisseur de la nuit d’un rucher extasié de lucioles…
Delgrès il n’est point de printemps comme la chlorophylle guettée d’une rumeur émergeante de morsures de ce prairial têtu trois jours tu vis contre les môles de ta saison l’incendie effarer ses molosses trois jours il vit Delgrès de sa main épeleuse de graines ou de racines maintenir dans l’exacte commissure de leur rage impuissante Gobert et Pélage les chiens colonialistes Alentour le vent se gifle de chardons d’en haut le ciel est bruine de sang ingénu Fort Saint-Charles je chante par-dessus la visqueuse étreinte le souple bond d’Ignace égrenant essouflée par cannaies et clérodendres la meute colonialiste
Et je chante Delgrès qui aux remparts s’entête trois jours Arpentant la bleue hauteur du rêve projeté hors du sommeil du peuple trois jours Soutenant soutenant de la grêle contexture de ses bras notre ciel de pollen écrasé… Et qu’est-ce qu’est-ce donc qu’on entend le troupeau d’algues bleues cherche au labyrinthe des îles Voussure ombreuse de l’écoute la seule qui fût flaireuse d’une nouvelle naissance Haïti aisance du mystère l’étroit sentier de houle dans la brouillure des fables… Mais quand à Baimbridge Ignace fut tué que l’oiseau charognard du hurrah colonialiste
eut plané son triomphe sur le frisson des îles alors l’Histoire hissa sur son plus haut bûcher la goutte de sang je dis où vint se refléter comme en profond parage l’insolite brisure du destin… Morne Matouba Lieu abrupte. Nom abrupt et de ténèbres En bas au passage Constantin là où les deux rivières écorcent leurs hoquets de couleuvres Richepanse est là qui guette (Richepanse l’ours colonialiste aux violettes gencives friand du miel solaire butiné aux campêches) et ce fut aux confins l’exode du dialogue Tout trembla sauf Delgrès… O mort, vers soi-même le bond considérable tout sauta sur le noir Matouba
l’épais filet de l’air vers les sommets hala d’abord les grands chevaux du bruit cabrés contre le ciel puis mollement le grand poulpe avachi de fumée dérisoire cracheur dans la nuit qu’il injecte de l’insolent parfum d’une touffe de citronelle et un vent sur les îles s’abattit que cribla la suspecte violence des criquets… Delgrès point n’ont devant toi chanté les triomphales flûtes ni rechigné ton ombre les citernes séchées ni l’insecte vorace n’a patûré ton site O Briseur Déconcerteur Violent Je chante la main qui dédaigna d’écumer de la longue cuillère des jours le bouillonnement de vesou de la grande cuve du temps
et je chante mais de toute la trompette du ciel plénier et sans merci rugi le tenace tison hâtif lointainement agi par la rigueur téméraire de l’aurore ! Je veux entendre un chant où l’arc-en-ciel se brise où se pose le courlis aux plages oubliées je veux la liane qui croît sur le palmier (c’est sur le tronc du présent notre avenir têtu) je veux le conquistador à l’armure descellée se couchant dans une mort de fleurs parfumées et l’écume encense une épée qui se rouille dans le pur vol bleuté de lents cactus hagards je veux au haut des vagues soudoyant le tonnerre de midi
la négrillonne tête désenlisant d’écumes la souple multitude du corps impérissable que dans la vérité pourrie de nos étés monte et ravive une fripure de bagasses un sang de lumière chue aux coulures des cannaies et voici dans cette sève et ce sang dedans cette évidence aux quatre coins des îles Delgrès qui nous méandre ayant Icare dévolu creusé au moelleux de la cendre la plaie phosphorescente d’une insondable source Or constructeur du cœur dans la chair molles des mangliers aujourd’hui Delgrès
aux creux de chemins qui se croisent ramassant ce nom hors maremmes je te clame et à tout vent futur toi buccinateur d’une lointaine vendange