Cueillons, cueillons la rose au matin de la vie; Des rapides printemps respire au moins les fleurs. Aux chastes voluptés abandonnons nos coeurs, Aimons-nous sans mesure, à mon unique amie!
Quand le nocher battu par les flots irrités Voit son fragile esquif menacé du naufrage, Il tourne ses regards aux bords qu´il a quittés, Et regrette trop tard les loisirs du rivage. Ah! qu´il voudrait alors au toit de ses aïeux, Près des objets chéris présents à sa mémoire, Coulant des jours obscurs, sans périls et sans gloire, N´avoir jamais laissé son pays ni ses dieux!
Ainsi l´homme, courbé sous le poids des années, Pleure son doux printemps qui ne peut revenir. Ah! rendez-moi, dit-il, ces heures profanées; O dieux! dans leur saison j´oubliai d´en jouir. Il dit : la mort répond; et ces dieux qu´il implore,
Le poussant au tombeau sans se laisser fléchir, Ne lui permettent pas de se baisser encore Pour ramasser ces fleurs qu´il n´a pas su cueillir.
Aimons-nous, à ma bien-aimée! Et rions des soucis qui bercent les mortels; Pour le frivole appas d´une vaine fumée, La moitié de leurs jours, hélas! est consumée Dans l´abandon des biens réels.
A leur stérile orgueil ne portons point envie, Laissons le long espoir aux maîtres des humains! Pour nous, de notre heure incertains, Hâtons-nous d´épuiser la coupe de la vie Pendant qu´elle est entre nos mains.
Soit que le laurier nous couronne,
Et qu´aux fastes sanglants de l´altière Bellone Sur le marbre ou l´airain on inscrive nos noms; Soit que des simples fleurs que la beauté moissonne L´amour pare nos humbles fronts; Nous allons échouer, tous, au même rivage : Qu´importe, au moment du naufrage, Sur un vaisseau fameux d´avoir fendu les airs, Ou sur une barque légère D´avoir, passager solitaire, Rasé timidement le rivage des mers?