Voilà ce chêne solitaire Dont le rocher s´est couronné, Parlez à ce tronc séculaire, Demandez comment il est né.
Un gland tombe de l´arbre et roule sur la terre, L´aigle à la serre vide, en quittant les vallons, S´en saisit en jouant et l´emporte à son aire Pour aiguiser le bec de ses jeunes aiglons; Bientôt du nid désert qu´emporte, la tempête Il roule confondu dans les débris mouvants, Et sur la roche nue un grain de sable arrête Celui qui doit un jour rompre l´aile des vents; L´été vient, l´Aquilon soulève La poudre des sillons, qui pour lui n´est qu´un jeu, Et sur le germe éteint où couve encor la sève En laisse retomber un peu ! Le printemps de sa tiède ondée L´arrose comme avec la main ; Cette poussière est fécondée Et la vie y circule enfin!
La vie ! à ce seul mot tout oeil, toute pensée, S´inclinent confondus et n´osent pénétrer ; Au seuil de l´Infini c´est la borne placée ; Où la sage ignorance et l´audace insensée Se rencontrent pour adorer !
Il vit, ce géant des collines ! Mais avant de paraître au jour, Il se creuse avec ses racines Des fondements comme une tour. Il sait quelle lutte s´apprête, Et qu´il doit contre la tempête Chercher sous la terre un appui; Il sait que l´ouragan sonore L´attend au jour !.., ou, s´il l´ignore, Quelqu´un du moins le sait pour lui !
Ainsi quand le jeune navire Où s´élancent les matelots, Avant d´affronter son empire, Veut s´apprivoiser sur les flots, Laissant filer son vaste câble, Son ancre va chercher le sable Jusqu´au fond des vallons mouvants, Et sur ce fondement mobile Il balance son mât fragile Et dort au vain roulis des vents !
Il vit ! Le colosse superbe Qui couvre un arpent tout entier Dépasse à peine le brin d´herbe Que le moucheron fait plier ! Mais sa feuille boit la rosée, Sa racine fertilisée
Grossit comme une eau dans son cours, Et dans son coeur qu´il fortifie Circule un sang ivre de vie Pour qui les siècles sont des jours !
Les sillons où les blés jaunissent Sous les pas changeants des saisons, Se dépouillent et se vêtissent Comme un troupeau de ses toisons ; Le fleuve naît, gronde et s´écoule, La tour monte, vieillit, s´écroule ; L´hiver effeuille le granit, Des générations sans nombre Vivent et meurent sous son ombre, Et lui ? voyez ! il rajeunit !
Son tronc que l´écorce protège, Fortifié par mille noeuds,
Pour porter sa feuille ou sa neige S´élargit sur ses pieds noueux ; Ses bras que le temps multiplie, Comme un lutteur qui se replie Pour mieux s´élancer en avant, Jetant leurs coudes en arrière, Se recourbent dans la carrière Pour mieux porter le poids du vent !
Et son vaste et pesant feuillage, Répandant la nuit alentour, S´étend, comme un large nuage, Entre la montagne et le jour ; Comme de nocturnes fantômes, Les vents résonnent dans ses dômes, Les oiseaux y viennent dormir, Et pour saluer la lumière S´élèvent comme une poussière,
Si sa feuille vient à frémir!
La nef, dont le regard implore Sur les mers un phare certain, Le voit, tout noyé dans l´aurore, Pyramider dans le lointain ! Le soir fait pencher sa grande ombre Des flancs de la colline sombre Jusqu´au pied des derniers coteaux. Un seul des cheveux de sa tête Abrite contre la tempête Et le pasteur et les troupeaux !
Et pendant qu´au vent des collines Il berce ses toits habités, Des empires dans ses racines, Sous son écorce des cités ; Là, près des ruches des abeilles,
Arachné tisse ses merveilles, Le serpent siffle, et la fourmi Guide à des conquêtes de sables Ses multitudes innombrables Qu´écrase un lézard endormi !
Et ces torrents d´âme et de vie, Et ce mystérieux sommeil, Et cette sève rajeunie Qui remonte avec le soleil ; Cette intelligence divine Qui pressent, calcule, devine Et s´organise pour sa fin, Et cette force qui renferme Dans un gland le germe du germe D´êtres sans nombres et sans fin !
Et ces mondes de créatures
Qui, naissant et vivant de lui, Y puisent être et nourritures Dans les siècles comme aujourd´hui; Tout cela n´est qu´un gland fragile Qui tombe sur le roc stérile Du bec de l´aigle ou du vautour ! Ce n´est qu´une aride poussière Que le vent sème en sa carrière Et qu´échauffe un rayon du jour !
Et moi, je dis : Seigneur ! c´est toi seul, c´est ta force, Ta sagesse et ta volonté, Ta vie et ta fécondité, Ta prévoyance et ta bonté ! Le ver trouve ton nom gravé sous son écorce, Et mon oeil dans sa masse et son éternité !