💃🎤 Paroles de chanson Française et Internationnales 🎤💃

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Artiste : Anatole Le Braz
Titre : Au manoir de Keranglaz
Elle est couchée en son lit clos ;
Elle dort, elle dort, Tryphine !
Aussi blonds que la paille fine,
Ses cheveux coulent à longs flots
Sur la nacre de sa poitrine.

Et la cuisine vaste est pleine de sanglots !

***

On a pour la veillée invité les fileuses ;
Par les sentiers prochains on les entend venir.
La vieille Anna Congard est parmi les veilleuses .

Lévénez à la mort ne cesse de hennir.

Leur linge sur l´épaule, entrent les lavandières.
Ces prêtresses des eaux, des sources nourricières,
Sur le front de la morte étendant leurs battoirs,

L´aspergent en chantant du pleur des étangs noirs.

Et sont près du foyer les vieilles pèlerines .
Keranglaz, de tout temps, leur fut hospitalier.
Leurs écuelles, toujours, à côté des terrines,
Eurent place dans l´âtre ainsi qu´au vaisselier.

Comme elles cheminaient ce soir par la contrée,
Ayant flairé la mort en passant près du seuil,
Toutes de Keranglaz ont envahi l´entrée,
Leur coiffe rabattue en signe de grand deuil.

A la coutume antique obstinément fidèles,
Elles ont prosterné sur l´âtre leur vieux corps,
Puis, d´un ton primitif et sauvage, une d´elles

En l´honneur de la morte a dit le chant des morts.

» Ne pleure pas, ô toi qu’on pleure ;
» La vie est si douce où tu vas ;
» Elle est si mauvaise ici-bas,
» Que la plus courte est la meilleure !…
» Toi qu’on pleure, ne pleure pas !

» Morte en tes jeunes destinées,
» Tu n’auras pas vu les autans
» Faire bruire tes années
» Ainsi que des feuilles fanées
» Dans les sentiers de ton printemps !

» Fille, tu n’as pas été femme !
» Ton coeur est pur comme le feu.
» Tu n’as qu’à voler jusqu’à Dieu

» Sur l’aile blanche de ton âme.
» Péchés d’enfant pèsent si peu !

***

Tryphine a dans ses doigts un chapelet d’ébène,
Sous l’ombre de ses cils qui semble s’allonger,
Son regard clos à peine
Le long des rideaux blancs suit le songe léger
Que, vivants, ses yeux clairs se plurent à songer.

Et le vieux Keranglaz, n’ayant plus d’héritière,
Sentant crouler sur lui sa maison tout entière,
Serre sa tête dure entre ses poings velus

Et pleure sur les siens qui ne verdiront plus.

***

La vieille Anna Congard, parmi les vieilles femmes,
S’est mise à chevroter la » prière des âmes « ;
Et les répons plaintifs fredonnés vaguement
Font à la douce morte un plaintif bercement.
Et, dans le ciel, des voix s’éveillent par centaines ;
Et l’on entend frémir des musiques lointaines ;

Et tout l’espace vibre, et c’est signe, dit-on,
Qu’on ouvre à deux battants le paradis breton…

Le firmament en fleur est comme un pommier rose,
Et l’aube s’est levée, et la veillée est close…