Titre : Il n´est pas vrai qu´on soit orgueilleux d´aimer tant
Il n´est pas vrai qu´on soit orgueilleux d´aimer tant, Et que d´un oeil d´aigle on regarde Les passants affairés, indifférents, contents, Noyés de lumière blafarde.
Il n´est pas vrai qu´un grave et poignardant amour Isole noblement le rêve; Nul ne dit les combats dont l´assaille sans trêve Le désir, conflit sombre et sourd!
Il n´est pas vrai que l´âme altière et transportée Bénisse son cruel fardeau. Même si l´on paraît éblouie et hantée, L´on ne vit qu´en courbant le dos.
Comment se réjouir d´avoir livré sa chance À l´étranger vague et secret Qui, selon sa rieuse ou grave nonchalance, Nous emmêle à son sort distrait?
- Ah ! pouvoir n´aimer pas celui qu´on aime! N´être Pas l´esclave d´un beau vivant! Vivre libre, espérer, choisir, vouloir, connaître! Fendre l´azur comme le vent!
Ne pas être liée avec de durs cordages, Secs et fermés comme des poings, Au charme inévitable et fortuit d´un visage, Qu´on eût pu ne rencontrer point!
N´avoir pas transféré sa digne solitude, Unique et nombreuse à la fois, Dans un corps dont les yeux, la voix, la lassitude Semblent sacrés ou bien narquois!
Ne pas être obligée à constater sans cesse Que rien ne nous est plus soumis, Et que, ne nous laissant qu´une atroce paresse, Notre coeur bat dans l´ennemi!