Ce printemps-là, t’en souviens-tu ? Les jeunes étaient descendus dans la rue Ils voulaient en découdre Mettre le feu aux poudres Le maître mot était « révolution »
Moi c’était toi mon horizon
De barricades en défilés Le printemps éclatait de tous côtés Toi au coeur de la houle Tu haranguais la foule Criant : « Changeons les têtes et les lois ! » Moi j’étais fasciné par toi
J’arrivais de ma province Pour voir Paris et ses musées Quand je me suis vu emporter Dans l’immense raz-de-marée De ce Paris au mois de mai
Premiers émois premiers regards Moi qui venais d’un milieu campagnard De façon naturelle
Tu m’as pris sous ton aile Et la nuit venue au creux de tes bras Te souviens-tu ce printemps-là ?
Tu avais vingt ans révolus Moi je t’ai menti quatre de plus Tes cheveux en bataille Tu me semblais de taille À gagner à toi seule les combats Ma troublante pasionaria
En quelques jours tu m’as appris Des choses essentielles de la vie Qu’à la foire d’empoigne La liberté se gagne Au prix de sacrifices quelquefois Te souviens-tu de ces mots-là ?
Ta passion devint la mienne Et je te suivais pas à pas Occupant des lieux ça et là Brisant ceci, brûlant cela Contestant et l’ordre et l’État
Heureux de t’emboîter le pas Ivre d’amour j’ai partagé ta foi Toi ma soixante-huitarde Aux idées d’avant-garde Je t’aurais suivie jusque l’au-delà Te souviens-tu ce printemps-là ?
Ca chauffait dur dans le quartier Entre poursuites et jets de pavés Cris stridents de sirènes Bombes lacrymogènes Les matraques s’en donnaient à coeur joie
Te souviens-tu ce printemps-là ?
Les slogans étaient orchestrés Des millions de voix criaient liberté Interdit d’interdire Et cela va sans dire L’amour libre et le droit à l’IVG Les filles étaient déchaînées
Retranchés à la Sorbonne Ou dans les universités Entre des discours enflammés Soignant ses bosses et ses plaies La jeunesse enfin s’exprimait
Et puis le calme est revenu Ils ont vidé et nettoyé les rues Tout a repris sa place
Mais j’ai perdu ta trace Dès lors je suis retourné au pays Où souvente fois je me dis Quand mon coeur me parle de toi : « Te souviens-tu de ce printemps-là ? »