J´regarde si c´est pas miné. Repos la classe ! J´me présente : Dumoulin ! Mais les copains m´appellent Duboudin parce que chaque fois que j´entrais dans la chambrée, y en avait toujours un qui chantait : " Tiens voilà Dumoulin..."
R´marquez faut pas s´plaindre, on n´est pas les plus malheureux !
J´avais un copain y s´appelait Cocu. C´est agréable ! Il osait pas se marier. Pourtant il en avait trouvé une qui voulait bien. Peut-être pour ça qui voulait pas ! Alors pour se donner du courage, y s´étaient cuités tous les deux. Il est arrivé devant le maire avec sa promise bourrée. Tiens... ça fait rigoler ça d´habitude, promise bourrée. Ah non ! Cuitée ! Promise cuitée, c´est promise cuitée qui fait rigoler ! Vous dérangez pas, j´vais vous la refaire. Alors il est arrivé devant le maire avec promise complètement cuitée... ça fait rien, laisser tomber !
Enfin, il a d´la chance. Il est mort en 14, au début... comme ça il a pas vu la suite. Il avait été blessé au front... Non, pas à la tête, aux pieds. C´est que ça rigolait pas ! Moi qui vous cause, j´ai été blessé deux fois : Une fois à la l´abdomen, une fois à l´improviste. Lui, il avait eu le pied comme qui dirait arraché par un obus de passage. Nom de Dieu ! Alors on s´était dit : "On va y couper la jambe le plus haut possible pour pas que ça s´infecte au genou". Comme on avait rien pour l´endormir, on s´est dit : "On va y crever les yeux pour que le malheureux y voie pas sa misère". On lui a crevé les yeux et on y a dit : - "On t´racontera". On a pas eu besoin, il est mort pendant qu´on y cassait l´os... avec des cailloux !
Ah ben, dame ! On n´avait rien !
Ah non de Dieu, c´est qu´la guerre de 14 c´était pas les vacances. Heureusement dans un sens parce qu´il a pas fait beau. On s´disait toujours : - "Ah ben ! Y f´ra beau demain". Et beng ! La flotte ! Remarquez faut pas s´plaindre, au Pakistan, y s´disent toujours : "Ah ben ! On aura une meilleure récolte l´année prochaine". Et beng, la dèche ! Elle est très bonne... J´l´aime bien ! Ah, on a souffert de l´odeur tiens ! Ben vous savez comment ça s´passe ? Les premiers montent à l´assaut. Y se font tuer à 3 mètres, et après ça pue pendant toute la guerre ! Parce que tout le monde y disait : "Le front ! Le front !".
Mais quand on est arrivés, il existait pas le front, il a fallu qu´on le fasse ! Nom de Dieu ! Les Allemands étaient comme qui dirait à 100 mètres de nous. On leur a dit : - On fait le front ici ! - Ya ! - On creuse ici ! - Ya, Aufwiedersen ! - Oui ! c´est ça. Aux fines herbes.
Pendant ce temps-là on s´tirait pas d´ssus, sans ça on n´aurait pas fini la guerre. Faut être raisonnable ! Alors, tant qu´on a eu des munitions, ça allait encore mais après... Nom de Dieu ! Ils ont commencé à nous jeter leurs bouteilles de bière. J´ai gueulé ! J´ai dit : - "Y pourraient avoir des poubelles !".
Alors nous, on leur a jeté nos boites de corned-beef pleines. Il nous en restait plein. Vous savez ? Des petites boites kaki dehors, caca dedans. C´était des boites qu´on avait pendant la guerre de 70... Ben c´est qu´il en est resté assez pour faire la guerre de 40 ! C´est seulement qu´arrivés en Algérie qui z´ont dit : - "On vous laisse l´Algérie et vous nous reprenez le corned-beef..." Et c´est plus tard qu´ils l´ont revendu à Jacques Borel.
Remarquez, faut pas se plaindre ! On n´est pas obligés d´y aller hein ! Ah, nom de Dieu ! Mais je regrette pas de l´avoir fait la guerre ! D´abord parce que j´suis pas mort, et puis parce que j´ai été décoré. Ben oui, puisque j´suis pas mort !
A la guerre, on décore ceux qui r´viennent. Ceux qui sont morts, c´est ceux qu´étaient devant. Ben dame ! On peut pas être partout
Alors j´ai ma pension et puis il y a les commémos. Les commémos, c´est bath ça ! On y va, on pose un bouquet de fleurs, on joue toujours la même chose et puis après on a un banquet avec les copains. On s´en met plein la gueule ! Bien sûr, c´est pas nous qui paye, c´est vous ! Et puis y a toujours un ministre. En général, c´est Debré. J´sais pas comment y s´démerde çui là ! Il est tout le temps là ! Ah puis c´est un bouc-en-train, nom de Dieu ! T´entends un bouchon qui saute, c´est Debré ! Y en a un qui s´endort pendant le discours de Malraux, c´est Debré !
Y en a un qui s´met un entonnoir pour faire rigoler ses copains, dites-le avec moi : (Le public) " C´est Debré ! ". Alors ! J´invente pas. Tout le monde le sait : c´est Debré !
Tiens à propos faut que je vous raconte une amecdote. Figure-toi qu´un jour, c´était la nuit d´ailleurs, après une commémo. J´sais pas si c´était la chaleur mais tout le monde était ému. Et le p´tit Michel, il était complètement ému ! Alors je lui dis : - "Michel, tu vas pas rentrer dans cet état là à la maison ! Tu vas t´faire engueuler par ta bergère ! On n´est pas riches comme Fréjus, mais on peut loger un copain ".
J´le monte dans ma bagnole. On fait pas 300 mètres, nom de Dieu ! On s´fait arrêter par deux gendarmes ! Je dis au plus grand par la taille : - "Faites attention, le p´tit qu´est roulé en boule derrière, c´est Michel Debré ". L´autre y m´répond : - "Je sais, moi je suis la Callas et mon copain c´est les Beatles". Ah, nom de Dieu ! Ils nous emmenés à la gendarmerie, eh ben : Heureusement que Michel Debré avait le téléphone d´Alain Delon sur lui... Sans ça, on y passait la nuit, mon pote !