Avons-nous donc commis une action étrange? Explique, si tu peux, mon trouble et mon effroi: Je frissonne de peur quand tu me dis: "Mon ange!" Et cependant je sens ma bouche aller vers toi. Ne me regarde pas ainsi, toi, ma pensée!
Toi que j´aime à jamais, ma soeur d´élection, Quand même tu serais une embûche dressée Et le commencement de ma perdition!"
"Qui donc devant l´amour ose parler d´enfer? Maudit soit à jamais le rêveur inutile Qui voulut le premier, dans sa stupidité, S´éprenant d´un problème insoluble et stérile, Aux choses de l´amour mêler l´honnêteté! Celui qui veut unir dans un accord mystique L´ombre avec la chaleur, la nuit avec le jour, Ne chauffera jamais son corps paralytique A ce rouge soleil que l´on nomme l´amour!
On ne peut ici-bas contenter qu´un seul maître!" Mais l´enfant, épanchant une immense douleur, Cria soudain: - "Je sens s´élargir dans mon être
Un abîme béant; cet abîme est mon cœur! Brûlant comme un volcan, profond comme le vide! Rien ne rassasiera ce monstre gémissant Et ne rafraîchira la soif de l´Euménide Qui, la torche à la main, le brûle jusqu´au sang. Que nos rideaux fermés nous séparent du monde, Et que la lassitude amène le repos! Je veux m´anéantir dans ta gorge profonde, Et trouver sur ton sein la fraîcheur des tombeaux!"
Descendez, descendez, lamentables victimes, Descendez le chemin de l´enfer éternel! Plongez au plus profond du gouffre, où tous les crimes, Flagellés par un vent qui ne vient pas du ciel Jamais un rayon frais n´éclaira vos cavernes;
Par les fentes des murs des miasmes fiévreux Filtrent en s´enflammant ainsi que des lanternes Et pénètrent vos corps de leurs parfums affreux. Faites votre destin, âmes désordonnées, Et fuyez l´infini que vous portez en vous!
"Hippolyte, cher cœur, que dis-tu de ces choses? Comprends-tu maintenant qu´il ne faut pas offrir L´holocauste sacré de tes premières roses Aux souffles violents qui pourraient les flétrir? Hippolyte, ô ma soeur! Tourne donc ton visage, Toi, mon âme et mon cœur, mon tout et ma moitié, Tourne vers moi tes yeux pleins d´azur et d´étoiles! Pour un de ces regards charmants, baume divin,
Des plaisirs plus obscurs je lèverai les voiles, Et je t´endormirai dans un rêve sans fin!"