Il faisait nuit, il pleuvait fort sur ma route ; J´étais à pied, je ne comptais plus les gouttes ; Pauvre diable perdu en chemin, J´ai pris le rallongi du destin.
Bien trop trempé pour pouvoir continuer, A la première porte je choisis de toquer ; Cherchant juste une âme charitable, Un p´tit bout de pain au coin d´une table. Quand enfin fût tirée la bobinette, Et qu´un chat noir entre mes jambes eût passé Que de la porte à peine entrouverte J´entendis mon hôte me questionner. Je perçus tout d´abord comme un cantique Une voix de femme comme on en fait plus, Puis une question d´ordre plus pratique : "Que voulez-vous à cette heure indue ? "
Jamais, non jamais, A cette porte, je n´aurais du frapper ; Si je pouvais tout changer, Je s´rais chez moi seul sous ma couette, dans mon lit douillet
Je mis bien dix secondes à lui répondre Tant cette voix me fit l´effet d´un baiser ; Tant l´instant assommait ma faconde, Tant ma bouche partait pour balbutier.
Puis retrouvant la maîtrise de mes babines, Cherchant en moi l´éloquence d´un roi ; Je lui répondit d´une voix câline : "Je suis perdu, trempé, aidez-moi. "
Jamais, non jamais, A cette porte, je n´aurais du frapper ; Si je pouvais tout changer, Je s´rais chez moi seul sous ma couette, dans mon lit douillet
Car sûrement surprise par l´audace d´une telle demande,
Elle ouvrit sa porte et me chanta "suivez-moi" Maintenant pourvu de son offrande, J´entrai puis lui enquillai le pas. Je la suivis dans un petit couloir sombre, Où sa silhouette, telle la plus belle des ombres, Flottait devant mes yeux médusés ; Je sentais mes jambes vaciller.
Jamais, non jamais, A cette porte, je n´aurais du frapper ; Si je pouvais tout changer, Je s´rais chez moi seul sous ma couette, dans mon lit douillet
Une fois assis tout près de la cheminée, Près d´une table où elle s´était installée ; Je découvris pour la première fois
Son visage, son corsage, oulalah... Elle me parlait, mais je ne l´entendais pas - J´étais mouillé, mais qu´est-ce que je m´en foutais ; Tout mon or aujourd´hui je donn´rais Pour qu´ici l´histoire fût achevée. Retrouvant mes facultés auditives ; Je compris, fort gêné, qu´elle me proposait - Comme elle le faisait pour ses convives - De m´aider à me débarrasser. Hélas, sous l´effet de l´humidité, Mon par-dessus avait bien sûr rétrécit ; On eut bien du mal à l´enlever ; Et commencèrent les acrobaties.
Elle tirait si fort Sur mes manches que tout finit pas lâcher, Et me voila moitié nu,
Devant la bête, qui trébucha, et tomba dans mes bras !
Mais ! Sous l´émotion, mon coeur, lui aussi, lâcha ; Comme foudroyé par une flèche trop acérée ; Son bouche-à-bouche aggrava mon cas ! Bien mort, je vis mon âme s´envoler !
Depuis ce jour, de nuage adopté, Il pleut des larmes sur la maison adorée ; Il fait orage quand elle est amoureuse, Et beau temps quand elle est malheureuse !