- Alors, Barbizin, on ne reconnaît plus les amis ? Oh, mais dis, tu as bien la mine allongée aujourd´hui. Eh bé, toi si gai d´habitude. - Ah, ne m´en parle pas, vé. Tu as devant toi un homme désillusionné. Oui, je suis victime de la publicité.
- Pas possible ! - Tu sais que j´étais amoureux de la belle Suzanne Aubain là, la vedette des folies champêtres, une femme qui a une ligne, une poitrine, une bouche, un... enfin, tout quoi ! - Ouais ouais ouais, je comprends. Tout ce qu´il faut pour rendre un homme heureux. - J´étais fier de penser que cette grande vedette avait consenti à me "distinger" dans la masse de ses admirateurs. - Ouais, ouais, je sais. Tu avais même rendez-vous avec elle hier pour dîner. - Justement, voilà le malheur. - Hé, tu appelles ça un malheur, toi, un tête à tête avec une si agréable personne. - Mais tu vas comprendre. Hier, en empruntant le boulevard, j´achète un journal, je l´ouvre et voilà que l´aperçois à la troisième page la photo de mon adorée. Sous le cliché s´étalait l´attestation suivante "Grâce au pilvore Toupoilu, je détruis à merveille les poils superflus qui ornent mes lèvres et recouvrent mes jambes, mes bras et suis enchantée. Je m´en sers constamment. Suzanne Aubain"
- Il faudra que j´en parle à ma femme. - Je passe devant un pharmacien et je vois dans la vitrine le portrait de mon idole. Sous ce dernier, quelques lignes de sa belle écriture "J´avais comme le mérinos l´haleine forte. Il n´est rien de tel que les comprimés du docteur Tuemouche pour débarrasser l´intestin de ses toxines et purifier l´haleine. Je ne peux plus m´en passer." - Oh mais dis, ça, ça fera bien pour l´oncle Eusèbe ! - Et c´est pas fini ! Après, je monte dans le tramway. Sur la paroi du véhicule, j´aperçois de petites affiches. Je m´approche et je vois l´effigie de ma belle soulignée par ces déclarations "Les pilules Cédufer rendent aux seins fatigués leur galbe primitif, elles ramènent les égarés et soutiennent les découragés. Depuis que je m´en sers, je ne me reconnais plus"
- Ah, ah, je comprends... la poitrine ! Je le dirai à ma belle-mère. - Non mais, écoute la suite. Je descends du tramway et je me trouve nez à nez avec un homme-sandwich. Il transportait la réclame d´un pédicure. En bonne place, la silhouette de ma conquête levant haut la jambe et laissait voir son pied mignon. Au dessous, en grosses lettres, j´ai cru lire ceci "Après une longue marche, je voyais avec peine mes amis s´écarter de moi. Aujourd´hui, mes admirateurs me baisent les pieds et cela grâce à la poudre du professeur japonais Okipu" Et toujours sa signature. - Eh ben pour ça j´en causerai à mon cousin le gendarme. Mais le comble c´est qu´en me retournant je tombe en arrêt devant une affiche où Suzanne, grandeur nature, proclamait dignement "Les suppositoires Letrouduc mettent en fuite les hémorroïdes et l´eczéma. J´en consomme deux par jour."
- Hé bé, bon appétit, tu sais. Moi, quand j´en prendrai, un me suffira. Ah ah ah ! - Ah, va, tu peux rire ! Moi, ça m´a coupé le sifflet. Non mais, tu te représentes, dis : les seins raffermis, les poils rasés, l´haleine purifiée, les pieds désinfectés, les hémorroïdes et l´eczéma et le machin du truc et tout ce qui s´ensuit... Eh ben, ça m´a suffi, moi. Je me refuse à aller voir le bien-fondé de ces attestations. - Comment ? Tu n´es pas allé à ton rendez-vous ? - Mais non que j´y suis pas allé, tu penses ! Je suis allé dans les champs. J´ai séduit une gardienne de vaches. - Tu as fait ça ? - Oui, mon vieux - Ah ah ! - Elle sentait bien un peu le crottin mais là au moins, mon vieux, c´était nature !