J’allais dans le verger où les framboises au soleil chantent sous l’azur à cause des mouches à miel. C’est d’un âge très jeune que je vous parle.
Près des montagnes je suis né, près des montagnes. Et je sens bien maintenant que dans mon âme il y a de la neige, des torrents couleur de givre et de grands pics cassés où il y a des oiseaux de proie qui planent dans un air qui rend ivre, dans un vent qui fouette les neiges et les eaux.
Oui, je sens bien que je suis comme les montagnes. Ma tristesse a la couleur des gentianes qui y croissent. Je dus avoir, dans ma famille, des herborisateurs naïfs, avec des boîtes couleur d’insecte vert, qui, par les après-midi d’horrible chaleur, s’enfonçaient dans l’ombre glacée des forêts,
à la recherche d’échantillons précieux qu’ils n’eussent point échangés pour les vieux trésors des magiciens des Bagdads merveilleuses où les jets d’eau ont des fraîcheurs endormeuses. Mon amour a la tendresse d’un arc-en-ciel après une pluie d’avril où chante le soleil. Pourquoi ai-je l’existence que j’ai ? N’étais-je fait pour vivre sur les sommets, dans l’éparpillement de neige des troupeaux, avec un haut bâton, à l’heure où on est grandi par la paix du jour qui tombe ?