On va voter. Paisible assembleur d’hémistiches, Je reste froid. Mais j’ai l’horreur de ces affiches Aux tons crus et de leurs grotesques boniments.
Malgré moi, je les lis sur tous les monuments ; Je compare, écoeuré de patois inutile, La colle du papier et la glaire du style ; J’y prends même, à la longue, un intérêt réel, ― C’est absurde, ― et veux voir, devant cet arc-en-ciel D’imprimés dont soudain Paris se bariole, Lequel de ces sauteurs fait mieux sa cabriole. Dans mon quartier, voyons ! qui sera député ? Cet avocat véreux ? ce médecin raté ? Quand j’y songe, le choix me paraît difficile. L’un est une canaille, et l’autre un imbécile. Mais il faut t’obéir, suffrage universel ! Je dois un bulletin à cette boîte à sel Que le Français, épris du tragique cothurne Et du style pompier, appelle encore une urne.
C’est plus aveugle et plus bête que le hasard ; Mon suffrage est l’égal de celui d’un pochard. Il vaudrait mieux jouer la chose à pile ou face. Mais enfin c’est ainsi. Que faut-il que je fasse ? Qui nommer ? L’avocat, format grand-colombier, Se placarde en vert-pomme et rouge-caroubier, Et le docteur salit des murailles entières D’un nom jadis célèbre au fond des pissotières. Pour qui voter ? Tous les journaux, si je m’abstiens, Vont me ranger parmi les mauvais citoyens. Lequel des candidats choisirai-je dimanche ? En attendant, tous deux me tirent par la manche. Je me sens raccroché, du matin jusqu’au soir,
Par leur prose publique et qui fait le trottoir, ― Oh ! quel dégoût ! ― et, sur chaque affiche pareille A la fille de nuit qui vous parle à l’oreille Et cherche à vous troubler d’un érotique émoi, Je lis : Bel électeur, veux-tu monter chez moi ?