Je n’aime pas les indifférents, j’ai du mal avec ceux qui ont l’air de s’en foutre Les fuis-moi je te suis, les silences complaisants Les rockeurs que rien n’atteint, les mystères qui s’esthétisent
Je n’aime pas les satisfaits, les gens qui semblent n’avoir besoin de rien ni de personne Ceux qui se gardent, se refusent, et vous le font savoir À priori je ne suis pas le public le plus approprié pour Lou Reed Et pourtant il me touche Il me touche dans l’écart qu’il y a entre l’image qu’on se fait de lui au loin et ce qui semble être de près Il me touche dans la distance qu’on découvre entre lui et son propre cliché À mieux y regarder il me touche de n’être précisément pas un indifférent Mais quelqu’un qui raconte des histoires Quelqu’un qui fait attention aux histoires qu’il raconte Il me touche quand il raconte l’histoire Delmore Schwartz
Qui est Delmore Schwartz, pour le dire vite, son mentor
Élégant homme né en dix-neuf cent treize dans une famille juive roumaine et aisée Delmore commence par obtenir un diplôme à l’université de New York, avant de poursuivre dans les années trente un cursus à Harvard, dans le département de philosophie dirigée par White head Puis par écrire une nouvelle dans la Partisan Review inspiré du divorce de ses parents qui sera cité par TS Eliot, William Carlos William ou Ezra Pound admiré pas Nabokov Une nouvelle qui devra pour le dire autrement devenir un classique Le classique d’un homme d’à peine vingt-cinq ans Un classique aussi pour Lou Reed, qui découvrira ce texte une dizaine d’années après sa parution en prenant des cours de creative writings
Ce qu’il faut comprendre, Lou Reed, dont tant de gens sont fan Était lui-même fan de Delmore, fan absolument sans temps, jusqu’à la mort C’est émouvant de surprendre les gens célèbre admirer d’autres gens moins célèbres Émouvant de réaliser que les figures que tout le monde écoute parfois se taisent pour elle-même écouter d’autres personnes J’ai commencé à aimer Lou Reed quand j’ai commencé à connaitre l’humilité de Lou Reed Une humilité de lecture, une déférence de fan
Lou écrivait en 2012 une lettre posthume à Delmore Qui se conclut par un mot simple, trop simple sans doute Si simple qu’il est souvent raillé
Lou conclut sa lettre à Delmore par le mot rêve Et alors qu’il conclut, je me demande si admirer quelqu’un ce n’est pas au fond devenir responsable de ses rêves S’engager à les poursuivre, s’engager à les défendre, à en défendre le sérieux À en prendre la suite, à combattre l’indifférence J’imagine en souterrain comme un relais d’attentions que se passent mystérieusement les humains Et me dit qu’admirer quelqu’un, c’est prendre le risque de s’emparer de ce relais Avoir charge d’âme d’un rêve partagé Lou à sa manière a pris la suite de Delmore Qui aujourd’hui prendra la suite de Lou