Si j´ai bonne mémoire, elle allait dégrafée ; On comptait plus les yeux qu´elle avait pu crever.
Elle faisait du tort aux statues de l´antique ; Elle était si prodigue à montrer ses appas Que la visite au Louvre ne s´imposait pas. Avec elle le nu devenait art plastique. Mais les temps sont venus mettre une ombre au tableau, Rendre à son piédestal la Vénus de Milo. La belle dégrafée a changé d´esthétique, Un vent de honte a balayé le pont des Arts, Et les collets sont montés comme par hasard. "Les jeunes filles d´aujourd´hui sont impudiques."
De la mode, naguère, elle ignorait le cours, Invariablement, elle s´habillait court. Elle aimait accuser le jeu de ses chevilles ; Quand le vent s´en mêlait, c´était fête pour nous
On avait un droit de regard sur ses genoux, Et l´on en abusait, je vous le certifie. Mais les temps sont venus mettre une ombre au tableau, Les jupes tout à coup sont tombées de bien haut. La belle retroussée est devenue Sophie ; A peine maintenant si l´on voit ses talons, Quelle que soit la mode, elle s´habille long. "Elles en font vraiment trop voir, les jeunes filles."
Et s´il avait fallu vêtir une poupée Du soupçon de chiffon dont elle était nippée, L´étoffe aurait paru tout juste suffisante ; C´était rien, moins que rien, ça lui couvrait le corps D´une seconde peau qui la rendait encore
Plus nue toute habillée et plus appétissante. Mais les temps sont venus mettre une ombre au tableau, Elle a de la tenue et flétrit le culot De ces beautés du diable, ces adolescentes, Qui, la robe collée sur leur peau de satin, Ont l´air de revenir du faubourg Saint-Martin. "Les jeunes filles d´aujourd´hui sont indécentes."
Cela dit, sans vouloir lui laver le chignon, La bagatelle était son gros péché mignon. L´amour était toujours pendu à sa ceinture. Légère, elle a connu les mille et une nuits De noce et son ange gardien, pauvre de lui, Dut passer auprès d´elle une vie de tortures. Mais les temps sont venus mettre une ombre au tableau,
Sous le pont des soupirs, il a coulé de l´eau. La belle enamourée a changé de posture, Maintenant qu´Adonis a déserté sa cour, Que l´amour la délaisse, elle laisse l´amour Aux jeunes filles d´aujourd´hui, ces créatures !