Par les après-midi d’hiver mélancoliques Je vais parfois dans les vieux temples catholiques, Quand c’est un jour de fête et qu’ils sont bien ornés,
Quand les prêtres au fond des nefs sont prosternés Sous le jaunâtre éclat des lampes et des cierges, Et qu’on a mis leurs beaux manteaux aux saintes Vierges Dont le profil sourit dans un cadre de fleurs.
Je vais alors, en proie à mes vagues douleurs, M’agenouiller parmi la foule qui contemple Le ciboire étoilé qui plane sur le temple. Les enfants près de moi sont couchés sur des bancs, Et les femmes du peuple, en bonnets à rubans, Tiennent leur chapelet dans leurs mains à mitaines Et les dames du monde élégantes, hautaines, Par un vague respect des usages anciens
Appuient sur leurs manchons de petits Paroissiens Qu’elles lisent tous bas à travers leurs voilettes.
Les haillons sont ainsi près des riches toilettes, Comme un symbole grave à la fois et charmant Du destin qui nous fait petits également Sous la voûte profonde et vaste de l’église Où Dieu nous entend tous et tous nous égalise !
Seul, je me cache à l’ombre obscure d’un pilier Et la main sur les yeux je tâche d’oublier Le monde dont le bruit grouille au loin dans la rue. Je songe, et je reprends la route parcourue Depuis ma sainte enfance et mes jeux primitifs.
Il fait bon : l’orgue chante avec des sons plaintifs Que rythment sourdement quelques voix enfantines ; L’autel tressaille au bruit des cloches argentines ; L’encens remplit le choeur de ses subtils parfums, Et le long des parois les évêques défunts Auxquels le marbre donne une ferme attitude Peuplent de spectres blancs la noire solitude.
Je rêve au temps lointain quand, simple et doux d’esprit, Ma mère, en me couchant sur ses genoux, m’apprit A tenir pour prier mes petites mains jointes ; Quand plein d’un tendre émoi je marchais sur les pointes
De mes pieds vers la place où je devais m’asseoir, Et que mon coeur d’enfant comme un chaste encensoir S’exhalait dans l’église étroite où rien ne bouge Les jours que je servais la messe en robe rouge !
Et tandis que je pleure après avoir rêvé, L’office, à mon insu, déjà s’est achevé ; Il fait tout noir ; mais dans les vitraux brille encore Un rayon de soleil couchant qui les décore Et les fait resplendir quand tout s’est obscurci ; Et je me dis alors que dans mon coeur aussi, Qui n’a plus ses élans et sa ferveur première,