Être le psychologue et l’ausculteur de l’eau, Étudier ce coeur de l’eau si transitoire,
Ce coeur de l’eau souvent malade et sans mémoire. L’eau si pâle ! On dirait une soeur du bouleau Par le fard du couchant à peine un peu rosée ; Mais, dormante, elle rêve à d’orageuses mers, Et, somnolente, elle est la grande névrosée En qui se plaint sans cesse un écheveau de nerfs, Fils cachés, fils souffrants ramifiés en elle Et qui parfois en des frissons, en des remous Crispent sa nudité d’une douleur charnelle !
Mais le mal est au coeur qui s’afflige dessous, Coeur impressionnable et sous trop d’influences Puisque le ciel, jusqu’aux plus minimes nuances, Rêve d’y transvaser son infini changeant. À peine d’elle-même et de son coeur qui dure
Quelques endimanchés nénuphars émergeant Comme son propre songe en un peu de verdure Maladif coeur de l’eau qui ne s’appartient pas ! Mais si soumise au ciel, si faible l’eau soit-elle, Elle cache sa peine en de muets combats, Sachet inviolé dans des plis de dentelle ! Pourtant on la devine en proie à l’idéal Et qu’elle a les langueurs, sous ses ondes mobiles, Des filles de treize ans qui deviennent nubiles. Et l’on dirait aussi que, parmi l’eau, le mal Mystérieux d’une puberté s’élabore : Troubles, frissons, pâleurs, émoi d’on ne sait quoi, Quand chaque nénuphar comme un sein vient d’éclore,
Sein nouveau-né, doux gonflement qui se tient coi ! Ah ! Ce coeur de l’eau vaste en qui tout s’amalgame,
Ce coeur de l’eau plus compliqué qu’un coeur de femme, Il faudrait pourtant bien un peu l’analyser. Oui ! Mais l’eau ne veut pas que quelqu’un la révèle, Et brusquement tous les décors sombrent en elle Dans un grand coup de vent, troublant comme un baiser ! Et la voilà, pour que rien d’elle ne s’avère, Qui s’est enfuie au fond de sa maison de verre.
II
Le rêve de l’eau pâle est un cristal uni Où vivent les reflets immédiats des choses : Rideaux d’arbres, pignons, mâts des vaisseaux, ciels roses Auxquels l’eau calme mêle une part d’infini, Car leur mirage en elle est sans fin et s’allonge En une profondeur presque d’éternité Les choses ont ainsi leurs minutes de songe Où chacune, dans l’eau, se semble avoir été Et s’aperçoit déjà vague et transfigurée ; Car tout en y prenant conscience de soi Les choses dans l’eau vaste échappent à leur loi Et plongent un moment dans un ciel sans durée
C’est ainsi que l’eau frêle a vécu d’irréel !
Certes brièvement s’y réfléchit le ciel ; Mais, si peu que ce soit, elle possède une âme Où l’unité divine apparaît par instants ; Qu’importent les reflets encore intermittents, Puisqu’ils y sont mêlés en une seule trame Et que dans l’eau déjà sont réconciliés Des nuages, des tours et de longs peupliers.
III
L’eau vivante vraiment et vraiment féminine Aime le ciel, comme en un hymen consenti, Reflétant ses couleurs-et sans nul démenti ! Car, pour lui correspondre en tout, elle élimine Les choses qui pourraient mitiger son reflet, Et soi-même s’oblige à rester incolore. Quel émoi douloureux si le vent éraflait Ce cristal où le ciel lointain trouve à s’enclore,
Infidèle miroir désormais nul et nu ! Il est des jours dans cet amour tout ingénu, Dans cet amour du ciel et de l’eau, des jours tristes Où le ciel gris dans l’eau se retrouve si peu ; Puis d’autres où l’eau gaie absorbe tout son bleu, Bleu de mois de Marie et de congréganistes, Mais c’est le soir surtout que devient mutuel Leur amour, à l’heure où l’eau pâmée et ravie Brûle des mêmes feux d’étoiles que le ciel !
Lors plus rien n’est dans eux qui les diversifie. Ressemblance ! Miracle inouï de l’amour Où chacun est soi-même et l’autre tour à tour
Or, dans l’assomption de la lune opportune, - Comme l’amour de deux amants silencieux, Pour se prouver, se réciproque dans leurs yeux,