VERTIGO, MIGUEL. Bientôt la pauvre enfant, Sous l’effort triomphant De ce vin généreux, Va couronner mes vœux.
MANUELITA. Hélas ! le pauvre absent ! Que fait-il à présent ! Il lirait dans mes yeux De quoi combler ses vœux !
MIGUEL. Trinquons !
MANUELITA. Trinquons !
VERTIGO. Trinquons !
Moment agréable !
MIGUEL. Buvons !
MANUELITA. Buvons !
VERTIGO. Buvons !
Quel vin délectable !
VERTIGO, MIGUEL. Bientôt la pauvre enfant, etc.
MANUELITA. Hélas ! le pauvre absent ! etc. (Ils s’asseoient.)
VERTIGO, à part. ! Il s’agit maintenant de séduire la belle ! Des leçons de Miguel je ferai bon emploi. Son verre n’est pas loin, et je me charge d’elle ! (Il verse à boire à Manuelita.)
MIGUEL, à part. Oui-dà ? moi ; mon ami, je me charge de toi !
(Il verse à boire à Vertigo.)
VERTIGO. Ma chère, quand je vous contemple Je vois que vous ne buvez pas.
MIGUEL. Parbleu, l’ami, prêche d’exemple, Et l’on te suivra pas à pas.
VERTIGO. C’est juste ! (Il boit.)
MIGUEL. Et puis, veux-tu m’en croire ? Sans la chanson pas de festin complet. !
VERTIGO. C’est vrai !
MIGUEL. Cherche dans ta mémoire Et tâche d’y trouver quelque couplet à boire.
VERTIGO. Je n’en sais pas. Au lieu d’entonner le couplet, Entonnons-en plutôt l’intéressant sujet ! (Il boit.)
MIGUEL, riant. Entonne le sujet… je dirai le couplet.
VERTIGO, un peu gris, buvant. La douce chose !
Il me semble vraiment voir tout couleur de rose !
MIGUEL, se levant. Écoutez… je vais dire un bachique refrain.
VERTIGO. Nous le répéterons tous trois le verre en main.
MIGUEL. Bruit charmant Doux à mon oreille.
VERTIGO, MANUELITA. Pan, pan, pan !
MIGUEL. Bruit charmant Du bouchon sautant !
VERTIGO, MANUELITA. Pan, pan, pan !
MIGUEL. Gardien de la liqueur vermeille, Mon pouce aidant, Ouvre-lui vite la bouteille En t’échappant ! Lorsque du bouchon le fil se rompant, Le liège libre, enfin s’échappant S’élance dans l’air et va le frappant, Répétons en chœur son joyeux pan pan ! (Manuelita et Vertigo se lèvent.)
Lorsque du bouchon, etc. (Après l’ensemble, Miguel et Vertigo se rasseoient. — Manuelita est debout pour chanter.)
MANUELITA. Bruit plus doux Du nectar qui coule !
MIGUEL, VERTIGO. Gloux, gloux, gloux !…
MANUELITA. Bruit plus doux, Tu sais plaire à tous !
MIGUEL, VERTIGO. Gloux, gloux, gloux !
MANUELITA. De la rouge et vineuse houle Refrain si doux,
Tu rendrais l’oiseau qui roucoule De toi jaloux ! Lorsque du nectar les flots en courroux Jettent à l’oreille leur refrain si doux, Les bras enlacés, nous rapprochant tous, Répétons en chœur les joyeux gloux gloux !
Lorsque du nectar, etc. (Ils se rasseoient après l’ensemble.)
MIGUEL, à voix basse. Savez-vous, Manuelita, Que plus que tout vous êtes belle !…
MANUELITA. Ah ! Miguel, que dites-vous là !…
VERTIGO, luttant contre le sommeil. Mais qu’ai-je donc dans la prunelle ? Malgré moi se ferment mes yeux.
MIGUEL, à Manuelita. Je dis que jamais, mon infante, Je n’ai passé d’heure charmante, Comme en ce jour, comme en ces lieux !
VERTIGO. J’ai bien mal à la tête !
MIGUEL. Parbleu ! Ton compte est fait.
VERTIGO, à Manuelita. Chantez encor, fillette, Cette chanson me plait !
MANUELITA, à part rêveuse. Ah ! Pepito, que n’es-tu pas Près de ta belle ! Hélas pour elle, Ce repas aurait plus d’appas !
VERTIGO, s’endormant. Répétons Ces chansons !… (Il tombe la tête dans ses mains.)
MIGUEL. Vient enfin Le doux choc du verre ! Tin tin tin… (Vertigo dort, Manuelita rêve ; la réponse se fait en silence par l’orchestre seulement.)
Vient enfin Le son argentin Tin tin tin !… (Réponse en silence.)
Ce bruit chasse l’humeur sévère… (Il s’arrête, puis à part, en regardant Vertigo.)
Bravo !… voilà qu’il dort !… à nous deux maintenant ! (Il baise le cou de Manuelita.)
MANUELITA, se levant. Miguel !… que faites-vous !…
MIGUEL. Je n’en sais rien moi-même ! Ce que je sais, c’est que je t’aime !…
MANUELITA. Vous !… Ce n’est pas possible !…
MIGUEL. Et pourquoi donc, vraiment ?
MANUELITA. Depuis une heure à peine Je vous revoi !
MIGUEL. L’amour vient, ou la haine Sait-on pourquoi ?
VERTIGO, rêvant. Gloux ! gloux ! gloux !…
MANUELITA. Arrêtez, Miguel, arrêtez ! Si vous dites vrai…
MIGUEL. Vous doutez ?
MANUELITA. Vous que j’aimais comme un frère !
MIGUEL. Ah ! ce n’est pas assez, ma chère !
MANUELITA. Ne voulant vous tromper, je dois vous repousser, Car je ne puis vous épouser.
MIGUEL. M’épouser !… Mais qui donc y pense ? Qui parle ici de s’enchaîner ? Il ne s’agit que de s’aimer !