Il disait, l´étranger Certains jours il disait : Je suis né en Espagne Au pied de la moquée des jardins de Cordoue Quand on apprend très tôt à battre la campagne On ne supporte pas la corde sur son cou
J´ai connu le mépris d´une terre étrangère Sans ne jamais rien dire et sans l´avoir choisie Fatigué de plier je compris la colère Je fus une blessure, une flamme et un cri Je suis mort n´importe où pour n´importe quelle cause Comme on meurt trop souvent sans trop savoir pourquoi Que ce soit pour un dieu, un lys ou une rose Ou pour ceux qui viendront que je ne saurai pas
Il disait, l´étranger D´autres jours il disait : Je suis né en Bohème Dans un faubourg de Prague où je n´ai pas grandi Je ne sais rien de moi ni mon nom de baptême Ni si j´ai frère et sœur, mes amis m´ont trahi De rafles en pogroms et dans l´indifférence J´ai tant et tant marché et sur tant de chemins
Malgré le temps passé, malgré les apparences J´étais pourtant certain d´être là pour quelqu´un Je suis mort n´importe où au bout de mes voyages Comme on meurt trop souvent d´avoir trop mal vécu Mon passage ne fut que l´ombre d´un visage Personne, je crois bien, ne l´aura jamais vu
Il disait, l´étranger Quelquefois il disait : Je suis né en Afrique Je ne sais plus l´endroit, il y a tant d´années J´aurais pu tout autant être Noir d´Amérique Où sont allées les eaux qui m´ont désaltéré Ils sont venus armés de fusils et de haine Les mêmes qui voulaient massacrer l´éléphant Espérant nous dompter et nous mettre des chaînes
Pour vendre notre peau sur d´autres continents Je suis mort n´importe où de trop de servitude Comme on meurt trop souvent quand on est différent C´est toujours et partout une vieille habitude Personne, je crois bien, ne s´en souvient vraiment
Il disait, l´étranger J´aurais pu être lui, aujourd´hui quand j´y songe J´aurais pu naître ici, ailleurs ou bien là-bas Moi, qui ai toujours eu en horreur le mensonge Peut-être suis-je né dans la vallée des rois ?