Te souviens-tu du soir, où près de la fenêtre Ouverte d’un salon plein de joyeux ébats, Tu n’avais pas seize ans les avais-tu ? peut-être Sous le rideau tombé, nous nous parlions tout bas ?
Ce n’était pas l’amour que t’exprimait ma bouche, Mon coeur était trop vieux, trop glacé, trop hautain Pour parler à ton coeur ; mais, prophète farouche, Je te prédisais ton destin.
Et toi, tu m’écoutais, sur la barre accoudée ; Tu me montrais ta nuque, en me cachant ton front, Et tu restais muette à la cruelle idée De ce premier amour qui, t’ayant possédée,
Deviendra mon dernier affront ! Nuit, ciel, jardin, massifs, dehors tout était sombre, Et tu regardais dans ce noir.
Mais ton coeur de seize ans avait encor plus d’ombre Et là, comme dehors, tu ne pouvais rien voir !
Mais moi, moi j’y voyais ! mes yeux perçaient le voile Qui te cachait ton avenir, Et je voyais au loin monter l’affreuse étoile De ce premier amour qui pour toi doit venir ! Je te disais alors : Il va bientôt paraître Celui-là qui prendra d’autorité vos jours ! Mais moi qui ne veux pas vous voir subir un maître, J’aurai disparu pour toujours !
C’est fait Je suis sorti maintenant de ta vie Sans t’avoir dit l’adieu qu’on se dit quand on part ;
Silencieusement j’emporte ma folie Pour être aimé de toi, j’étais venu trop tard. Tu ne m’as pas trahi. Je n’ai rien à te dire Ce qui fut entre nous, c’est la Fatalité. D’aucune illusion tu n’eus sur moi l’empire, Sinon celle de ta fierté !
Te l’avais-je assez exaltée Pour résister à ton futur vainqueur ? Ai-je cru te l’avoir plantée Assez avant dans ton trop faible coeur ? J’avais donc mis trop haut ton âme. En toi de la fierté ? non ! pas même d’orgueil ! Est-ce que tu pouvais être plus qu’une femme ? Les bras fermés sur toi sont pour moi ton cercueil.
Et si, devant mes yeux, un de ces soirs peut-être, Tu passes, entraînant tous les coeurs sous tes pas, Ne baisse pas les tiens ; ? car tu m’as fait connaître Ce genre de mépris qui même ne voit pas !