On a vécu nos quatre cents coups En mettant du cœur à l´ouvrage Et notre enfance fut pour nous Comme un de ces livres d´images Qu´on ne prêtait qu´aux enfants sages.
Le temps de nos vertes années N´avait pas deux sous de malice ; Il sentait bon le foin coupé, L´amour et le bon pain d´épices.
On avait l´cœur à la charrue, On avait la tête au moulin, Quand on allait le cul dans l´eau Et les deux pieds dans l´même sabot.
Dans quelque lit de vagabond, Nous avons pris ma bonne étoile, Par dessus la jambe et pardon ! Plus d´un amour à rebrouss´poil, Puis le printemps a mis les voiles. Alors s´en revenait bientôt, Tapi sous les branches de houx, L´hiver qui fleurait le vin chaud
Dans les veillées de par chez nous.
On avait l´cœur qu´avait trop bu Et la tête au creux de nos mains, On s´endormait le cul au chaud Et les deux pieds dans l´même sabot.
Le beau temps de claque galoches S´en est allé au fil de l´eau Et notre enfance s´effiloch´ Comme sonnailles de troupeau Dans la brume bleue des coteaux. Va, je n´oublierai jamais plus La chanson de nos vieux sabots, Quand nous allions les trous au cul Par les ruelles du hameau.
On avait l´cœur à la charrue,
On avait la tête au moulin, Quand on allait le sac au dos Et les deux pieds dans l´même sabot.
Le temps s´enfuit, le temps s´en fut Pour nous comme un livre d´images, La fin de l´histoir´ t´avait plu, T´es parti pour un long voyage, T´as tourné la dernière page. J´imagine mon dernier chant Comme la porte d´un jardin Entrouverte sur le couchant Dans les ormes du vieux moulin.
Je n´ai plus l´cœur à la charrue, Et si j´ai la tête au moulin C´est que j´y ai jeté dans l´eau Notre jeunesse, et tes sabots.