Je demeurai longtemps derrière un Vittel-menthe L´histoire quelque part poursuivait sa tourmente Ceux qui n´ont pas d´amour habitent les cafés La boule de nickel est leur conte de fées Si pauvre que l´on soit il y fait bon l´hiver
On y traîne sans fin par la vertu d´un verre Moi j´aimais au Rocher boulevard Saint-Germain Trouver le noir et or usagé des sous-mains Garçon de quoi écrire Et sur la molesquine J´oubliais l´hôpital les démarches mesquines A raturer des vers sur papier quadrillé Tant que le réverbère au-dehors vînt briller Jaune et lilas de pluie au coeur du macadam J´épongeais à mon tour sur le buvard-réclame Mon rêve où l´encre des passants abandonna Les secrets de leur âme entre deux quinquinas J´aimais à Saint-Michel le Cluny pour l´équerre Qu´il offre ombre et rayons à nos matins précaires Sur le coin de la rue Bonaparte et du quai J´aimais ce haut Tabac où le soleil manquait Il y eut la saison de la Rotonde et celle D´un quelconque bistrot du côté de Courcelles
Il y eut ce café du passage Jouffroy L´Excelsior Porte-Maillot Ce bar étroit Rue du Faubourg-Saint-Honoré mais bien plus tard J´entends siffler le percolateur dans un Biard C´est un lieu trop bruyant et nous nous en allons Place du Théâtre-Français dans ce salon Au fond d´un lac d´où l´on Voit passer par les glaces Entre les poissons-chats les voitures de place Or d´autres profondeurs étaient notre souci Nous étions trois ou quatre au bout du jour Assis A marier les sons pour rebâtir les choses Sans cesse procédant à des métamorphoses Et nous faisions surgir d´étranges animaux Car l´un de nous avait inventé pour les mots Le piège à loup de la vitesse Garçon de quoi écrire Et naissaient à nos pas
L´antilope-plaisir les mouettes compas Les tamanoirs de la tristesse Images à l´envers comme on peint les plafonds Hybrides du sommeil inconnus à Buffon Êtres de déraison Chimères Vaste alphabet d´oiseaux tracé sur l´horizon De coraux sur le fond des mers Hiéroglyphes aux murs cyniques des prisons N´attendez pas de moi que je les énumère Chasse à courre aux taillis épais Ténèbre-mère Cargaison de rébus devant les victimaires Louves de la rosée Élans des lunaisons Floraisons à rebours où Mesmer mime Homère Sur le marbre où les mots entre nos mains s´aimèrent Voici le gibier mort voici la cargaison Voici le bestiaire et voici le blason
Au soir on compte les têtes de venaison Nous nous grisons d´alcools amers O saisons Du langage ô conjugaison Des éphémères Nous traversons la toile et le toit des maisons Serait-ce la fin de ce vieux monde brumaire Les prodiges sont là qui frappent la cloison Et déjà nos cahiers s´en firent le sommaire Couverture illustrée où l´on voit Barbizon La mort du Grand Ferré Jason et la Toison Déjà le papier manque au temps mort du délire