La femme qui m´a porté dans ses hanches Cette dame dont je porte la sève Elle ne m´a jamais tenu dans ses branches M´a faite comme on fait un mauvais rêve M´a oublié dedans la pouponnière
N´a pas choisi comment je me prénomme Quand je suis tombée du corps de ma mère J´étais rouillée comme un vieux coeur de pomme
La femme qui m´a mise sur la planète Cette dame dont je porte les gènes Elle ne m´aura jamais servi d´assiettes Elle ne m´aura jamais mis mes mitaines Ne m´aura jamais appris de prières Jamais montré comment on plie les draps Quand je suis tombée du corps de ma mère J´ai su ce que c´était que d´avoir froid
La femme à qui je dois mon existence Cette dame que je ne connais pas Il arrive si souvent que j´y pense Pense-t´elle aussi un petit peu à moi Je n´aurai jamais léché ses cuillères
Ni goûté son gâteau à la vanille Quand je suis tombée du corps de ma mère Je n´ai pas eu le temps d´être sa fille
La femme qui m´a porté dans sa peau Je n´aurai jamais pleuré dans son cou Elle ne m´a pas reçu comme un cadeau Je n´ai vu de son coeur que le verrou La femme qui m´a vêtue de sa chair Elle ne m´aura jamais trouvé jolie Quand je suis tombée du corps de ma mère Je me suis fait livrée comme un colis
Je n´crois pas qu´elle sache à quelle adresse On est allé planté mon coeur de pomme J´ai refleuri dans une maison modeste Où chaque soir afin que je m´endorme D´une voix toute tendre et chaleureuse
Une autre femme qu´elle chantonnait Mes nuits commençaient toutes par une berceuse Un bon biscuit et un grand verre de lait
Une autre femme a dénoué ma chevelure Chaque matin d´hiver avant l´école Une autre femme a fait mes confitures A mis des céréales dans mon bol S´est occupé de ma température Chaque fois qu´une fièvre me clouait au lit Une autre femme était assez mature Pour autrement savoir donner la vie
La femme qui m´a porté dans ses hanches J´aurai voulu lui dire que sa sève Coule à présent dans les petites branches D´une enfant qui s´appelle Marie-Eve La femme qui m´a prise dans ses formes
Et qui me doit d´anciennes vergetures A-t´elle laissé échappé d´autres pommes Dont on serait de la même pelure
La dame qui m´a prise dans son écorce J´aurai voulu lui dire que je suis prête À l´aube de ce printemps qui s´amorce À peut-être un petit peu la connaître Si elle en a envie si elle veut voir Ce qu´un fragile coeur de pomme flétri A généré de saveur et d´espoir Grâce au courage que ça lui a pris
Pour me laisser tomber sans un regard Et pour me protéger par son oubli Pour me laisser rouler vers autre part Où j´avais rendez-vous avec... ma vie