Lorsque l’hiver était trop rude, qu’il nous menaçait le moral Nous nous envolions vers le sud dans de grands oiseaux de métal Un sac à dos sur les épaules, déjà l’maillot collé au corps
Sous nos manteaux de gens du nord, pour qu’en quittant l’aigle de tôle
Nous puissions juste, comme on dit, enlever en deux temps, trois mouv’ments Notre pelure, comme deux jeunes fruits tombés du même arbre géant Et profiter de ce soleil qui n’appartient jamais qu’aux plages Puis revenir de nos voyages le cœur lavé, le teint vermeil
Durant des années, en toute liberté, nous nous sommes aimés Mais les enfants n’étaient pas nés
Quand le printemps osait s’pointer et que la neige avait fondu
Y avait du sable amoncelé de chaque côté de nos rues Ces dunes naguère étendues sur notre asphalte de janvier Par nos bons messieurs des charrues qui nous empêchaient de glisser
Nous nous empressions d’enfiler les moins épais de nos lainages Et nous marchions en p’tits souliers, nous nous sentions presqu’à la plage Les arbres encore dénudés nous promettaient déjà leurs feuilles Adieu la saison décédée dont on n’portait déjà plus l’deuil
Durant des années, en toute liberté, nous nous sommes aimés
Mais les enfants n’étaient pas nés
Et il y eut un septembre spécial, un été indien mémorable Un qui n’eût pas vraiment d’égal, une grande fête, une grande table Oui nous étions si jeunes et si radieux que le soleil paraissait vieux Ce grand soleil qu’il faisait trop, était-ce trop vrai pour être beau?
Il a neigé des confettis, il a plu des tas de promesses C’est cet excédent de tendresse qui a fait basculer nos vies Qui a fait basculer nos vies
Durant des années, en toute liberté, nous nous sommes aimés
Puis les enfants sont arrivés
Lorsque vinrent les printemps d’après, bien sûr que nous n’avons pas vu Naître les trésors que la rue en ses bordures nous réservait Ces petites plages méconnues qu’on ne remarque plus jamais Du haut d’une liberté déchue lorsque c’est trop souvent juillet
Qui vient s’amuser à faire chaud dans la cuisine familiale Où pend bêtement sur un mur sale un calendrier plein d’ « barbos » Toujours ouvert au mauvais mois et qui a des cases à l’infini Qui ne prévoit aucun répit, aucun février à Cuba
Durant des années, nous avons douté, nous avons lutté Les enfants étaient arrivés
Un sac à couches sur les épaules et deux marmots collés au corps Nous n’avions comme aigle de tôle que le vieux garage dehors Nous enveloppions nos deux jeunes fruits tout frais tombés, n’est-ce pas magique? D’un arbre généalogique aux branches fièrement brandies
Quand les hivers faisaient frémir et nous menaçaient le moral Nous nous interdisions de fuir nos obligations parentales
Nous nous passions de ce soleil qui n’appartient jamais qu’aux plages Et nous nous passions de sommeil et nous nous passions de voyages
Durant des années, nous nous sommes aimés d’un amour éteint Puis les enfants ont fait leur ch’min
Et voilà que nous nous sommes retrouvés un peu perdus dans leur absence Ce fut un septembre marqué comme par un trop plein de silence Alors nous avons pris la décision d’aller nous réfugier dans l’sud De passer la morte saison loin des érables qui s’dénudent
Ce fut le Noël le plus rude de toute notre vie d’amoureux Nous qui croyions que vivre à deux et que de partir aux Bermudes C’était ce qu’il y avait de mieux comme condition d’vie idéale Nous qui étions tellement joyeux d’reprendre un oiseau de métal
On a compris qu’entre s’asseoir en faisant face à l’océan Et avoir le bonheur de voir le sourire d’un de nos enfants Le choix était une évidence et nous en eûmes vite assez Des parasols qui se balancent bousculés par les vents salés
Nous sommes revenus par le ciel afin de croiser nos enfants En train d’secouer les propres ailes de leurs propres aigles géants Puis nous avons r’trouvé notre lit, abasourdis par leur silence Quelques regrets sur la conscience de n’leur avoir pas assez dit
Qu’ils ont été les plus belles fleurs de nos innombrables saisons Et soudain nous avons eu peur qu’ils boudent à jamais la maison
Quelques jours de peine, quelques jours à peine se sont écoulés Puis les enfants sont arrivés