Tout ce qu´autrefois j´ai chanté De la Mer en ma Solitude, En ce lieu m´est représenté
Où souvent je fais mon étude : J´y vois ce grand Homme marin Qui d´un véritable burin Vivait ici dans la mémoire Mon coeur en est tout interdit Et je me sens forcé d´en croire Bien plus qu´on ne m´en avait dit.
Il a le corps fait comme nous, Sa tête à la nôtre est pareille, je l´ai vu jusques aux genoux, Sa voix a frappé mon oreille ; Son bras d´écailles est couvert, Son teint est blanc, son oeil est vert, Sa chevelure est azurée ; Il m´a regardé fixement Et sa contenance assurée M´a donné de l´étonnement.
Un portrait qui n´est qu´ébauché Représente bien son visage ; Sous du poil son sein est caché, Il a des mains le libre usage : De la droite, il empoigne un cor Fait de nacre aussi rare qu´or Dont les chiens de mer il assemble : Je puis croire un Glauque aujourd´hui ; Bref, à nous si fort il ressemble, Que j´ai pensé parler à lui.
De mainte branche de coral Qui croit sous l´eau comme de l´herbe Et dont Neptune est libéral, Il porte un panache superbe ; Vingt tours de perles d´Orient, Riches d´un lustre variant
En guise d´écharpe le ceignent ; D´ambre son chef est parfumé O feu ! qui toujours allumé Et quoique les ondes le craignent Il en est pourtant bien-aimé.
Quelquefois, bien loin écarté, Je puise, pour apprendre à vivre, L´Histoire ou la Moralité Dans quelque vénérable livre ; Quelquefois, surpris de la nuit, En une plage où, pour tout fruit, J´ai ramassé mainte coquille, Je reviens au château, rêvant Sous la faveur d´un ver qui brille Ou plutôt d´un astre vivant.
O bon Dieu ! m´écrié-je alors,
Que ta puissance est nonpareille D´avoir en un si petit corps Fait une si grande merveille ! Brûle sans être consumé ! Belle escarboucle qui chemine ! Ton éclat me plaît beaucoup mieux Que celui qu´on tire des mines Afin d´ensorceler nos yeux !