C´est un petit asticot blanc Qu´a traversé pendant un an Un bouquin qu´on n´ lisait plus guère Et qui dormait sur l´étagère Il l´a troué de part en part
Faut dire qu´il était pas flemmard Pour se descendre en transversale L´éducation sentimentale
Un trou dans le point sur le i D´ sentimentale, c´était parti Une fois franchie la couverture Pouvait commencer l´aventure Cet auteur, il l´a adoré On peut dire qu´il l´a dévoré Ce mille-feuilles de huit cent douze pages Comme on fait un trou dans le fromage
Mais quelques pages avant la fin Il se dit "Je n´ai plus très faim" Et dans la couverture bleu pâle D´ l´éducation sentimentale Il s´est endormi bienheureux
Non sans faire une crotte ou deux Ce qui fit un peu de poussière Sur le rebord de l´étagère
Cela attira l´attention D´un gars qui l´ mit sans transition Dans une boîte de ferraille Grouillant d´asticots de sa taille Un gros hameçon de métal Qu´avait rien de sentimental L´envoya valser dans l´Ardèche Il trouva l´eau un peu trop fraîche
Elle n´avait même pas lu Flaubert Celle qui l´avala de travers Et le tint serré dans sa luette : Une grosse perche analphabète. Comme quoi aimer les grands auteurs
Ça vous protège pas du malheur Et s´il faut finir en friture C´est à dégoûter d´ la lecture
Et ce petit asticot blanc Mourut dans un calme troublant Ce qu´il trouva surtout dommage C´est d´ pas connaître les dernières pages De c´ bouquin qu´on n´ lisait plus guère Et qui dormait sur l´étagère Dans sa belle couverture bleu pâle "L´éducation sentimentale"