Il faut avoir connu le Pernod d´ l´avant-guerre Le quatorze juillet, le cigare à deux sous Le beaujolais champion que l´on buvait naguère L´alouette et le faisan, la pétoire à deux coups
Il faut avoir connu les folles aventures Des joyeux Pieds Nickelés parues dans L´Épatant Les pique-niques à Nogent, le goujon, la verdure Et le poil dans la main que l´on s´ payait dans l´ temps
Il faut avoir connu le Madeleine-Bastille Et l´amant d´Amanda qui jouait les costauds Ma canne et mes permis quand j´allais voir les filles Quand je faisais de l’œil à la belle Otéro
Il faut avoir connu le succès des gommeuses Et les messieurs barbus qui récitaient des vers Yvette et ses gants noirs qui d´une voix moqueuse Chantait "Madame Arthur" dans les cafés-concerts
Il faut avoir connu le chahut d´ la Boule Blanche La soie, le bouillonné, les parties d´ pattes-en-l´air Valentin l´ désossé qui, un poing sur la hanche Regardait la Goulue dans ses crises de colère
Il faut avoir connu l´admirable bonhomme Qui dessinait dans l´ coin et qui buvait cul sec Pour mieux se consoler d´être haut comme trois pommes Et que l´on appelait Monsieur Toulouse-Lautrec
"Moi, j´ai connu tout ça" me répète le grand-père Pour se remonter l´ moral à chaque fois qu´il est noir Et pour mieux m´expliquer que j´ ferais bien mieux d´ me taire
Au lieu d´ faire le mariolle et d´ causer sans savoir
J´ai pas connu tout ça, mais avec ma belle brune On en connaît assez pour ne pas s´ennuyer Pour notre prochain voyage, on ira dans la lune Où tous les vieux d´ la vieille n´ont jamais mis les pieds !