Ah ! Qu´était bon le temps où j´avais mes dix ans Il y a bien des guerres, il y a bien longtemps J´avais papa, maman, et une petite amie Aux yeux en clair de lune, âgée de huit ans et demi
Chastes comme des images, on s´embrassait si fort Que des étoiles aux lèvres m´en reviennent encore
Dans la ruelle blonde tâchée de rigolades Les jours de paye étaient des jours de libations Dans la nuit du samedi qu´enflammait chaque soir Les vieillards du quartier allaient aux Buttes-Chaumont Cultiver le cancan et faire des manilles Parler des morts tout neufs en crachant leurs bacilles
Le dimanche on allait se laver en famille Frotter collectivement nos crasses prolétaires On hurlait à tue-tête dans la vapeur bleutée Ah ! Que de douche en douche il faisait bon chanter
"Ô Corse, île d´amour", ou " Adieu Hawaï" ou " Le chaland qui passe" ou l´immortel "Tchi tchi"
On en sortait tout propres et les cheveux mouillés On promenait farauds nos odeurs de savon De l´église venaient, couleur de grenadine, La bible à la main, des fillettes mutines Serrées par leurs parents en bouquet noir et blanc Et les cloches volaient sur les toits des maisons
On allait au cimetière passer l´après-midi C´était l´endroit l´ plus calme et le plus sain aussi On y avait entombé beaucoup d´anciens amis On y faisait de nouvelles connaissances aussi
On casse-croûtait gaiement allée des Bons Enfants Priaient des bigorneaux pas rouges évidemment
Le soir pour s´ cultiver on allait au ciné Soit au Cocorico soit au Jardin d´Allah Parfois jouait Mae West, parfois c´était Fairbanks Qui nous émerveillait comme de la poudre blanche Après papa s´ battait et maman sanglotait J´ me souviendrai toujours d´ ces merveilleux dimanches