Dieu ! Manon, comment es-tu faite ? Ton mouchoir est tout déprimé, Et sur le dos de ta jaquette Le vert gazon est imprimé. De cueillir au bois l’aveline, Venir à minuit ?… Vous mentez ! Sortez d’ici, sortez, coquine ! Ah ! je vois que vous en goûtez !
Mais votre regard est humide, Mais qui peut ainsi vous blêmir ? A dix-sept ans le front livide ! Manon, vous me faites frémir.
A trente ans, moi, j’étais novice ; A trente ans !… Vous en plaisantez ? C’en est fait, vous aimez le vice.
Ah ! je vois que vous en goûtez !
Alors, en action, son père Mit sa morale, et la rossait : Quel affront ! Azaïs, j’espère, Nous dira ce qu’il compensait. Nouvelle Inchbald, dans l’indigence, Elle s’enfuit vers nos cités ; Que Dieu protège l’innocence ! Ah ! je vois que vous en goûtez !
A peine arrivée à la ville, Un évêque la remarqua ; Puis, se blasant de l’Évangile, Pour les drapeaux elle abdiqua. Tout à tour pucelle, adultère, Qu’elle enivra de dignités De son gros amour sans mystère !
Ah ! je vois que vous en goûtez !
Enfin, elle a blason, richesse ; L’Église nourrit son budget ; Un vieux seigneur, dans son ivresse,
Lui promit un Carnavalet ; Aujourd’hui, comtesse, on l’admire, Elle a part aux indemnités ; Au roi même elle pourrait dire : Ah ! je vois que vous en goûtez !