Titre : En mieux il tournera l´usage des cinq sens
En mieux il tournera l´usage des cinq sens. Veut-il suave odeur ? il respire l´encens Qu´offrit jésus en croix, qui en donnant sa vie Fut le prêtre, l´autel et le temple et l´hostie. Faut-il des sons ? le Grec qui jadis s´est vanté
D´avoir ouï les cieux, sur l´Olympe monté, Serait ravi plus haut quand cieux, orbes et pôles Servent aux voix des saints de luths et de violes. Pour le plaisir de voir les yeux n´ont point ailleurs Vu pareilles beautés ni si vives couleurs. Le goût, qui fit chercher des viandes étranges, Aux noces de l´Agneau trouve le goût des anges, Nos mets délicieux toujours prêts sans apprêts, L´eau du rocher d´Oreb et le Man toujours frais : Notre goût, qui à soi est si souvent contraire, Ne goûtra l´amer doux ni la douceur amère. Et quel toucher peut être en ce monde estimé Au prix des doux baisers de ce Fils bien-aimé ? Ainsi dedans la vie immortelle et seconde
Nous aurons bien les sens que nous eûmes au monde, Mais, étant d´actes purs, ils seront d´action Et ne pourront souffrir infirme passion : Purs en sujets très purs, en Dieu ils iront prendre Le voir, l´odeur, le goût, le toucher et l´entendre. Au visage de Dieu seront nos saints plaisirs, Dans le sein d´Abraham fleuriront nos désirs, Désirs, parfaits amours, hauts désirs sans absence, Car les fruits et les fleurs n´y font qu´une naissance.
Chétif, je ne puis plus approcher de mon oeil L´oeil du ciel ; je ne puis supporter le soleil. Encor tout ébloui, en raisons je me fonde
Pour de mon âme voir la grande âme du monde, Savoir ce qu´on ne sait et qu´on ne peut savoir, Ce que n´a ouï l´oreille et que l´oeil n´a pu voir ; Mes sens n´ont plus de sens, l´esprit de moi s´envole, Le coeur ravi se tait, ma bouche est sans parole : Tout meurt, l´âme s´enfuit, et reprenant son lieu Extatique se pâme au giron de son Dieu.