C’est là qu’elle priait. Là, sur ces blanches dalles Où je foule à mes pieds des tombes féodales. Vaguement enivré de la pompe des soirs, D’orgues, de chants divins, d’étoffes, d’encensoirs Et de beaux corps de femme à genoux sur la pierre, Je ne regardais qu’elle et sa blonde paupière, Et lorsqu’elle partit, maîtresse de mon cœur, Il me sembla d’abord que du milieu du chœur Un ange de sculpture aux formes immortelles Se levait, pâle et triste, en déployant ses ailes !
II
D’où vient-il, ce lointain frisson d’épithalame ? Quels cieux ont déroulé leurs nappes de saphir ? Quel espoir inconnu m’anime ? Quel zéphyr A jeté dans ma vie errante un nom de femme ?
Quel oiseau près de moi chante sa folle gamme ? Quel éblouissement s’enfuit, pour me ravir, Comme le corail rose ou la perle d’Ophir Que poursuit le plongeur bercé par une lame ?
En vain de ma pensée effarouchant l’essor, Je veux loin de vos yeux pleins d’étincelles d’or L’entraîner, sur vos pas la rêveuse s’envole,
Et, pour que mon tourment renaisse, ardent phénix, J’emporte dans mon cœur votre chère parole, Comme un parfum subtil dans un vase d’onyx.
III
Oui, mon cœur et ma vie ! Et je sais bien, Ô chère inassouvie, Que ce n’est rien !
Ah ! si j’étais la rose Que le soir brun En souriant arrose D’un doux parfum ;
Si j’étais le bois sombre Qui sur les champs Jette au loin sa grande ombre Et ses doux chants,
Ou l’onde triomphale D’où le soleil Sur son beau char d’opale S’enfuit vermeil ;
Si j’étais la pervenche Ou les roseaux,
Ou le lac, ou la branche Pleine d’oiseaux,
Ou l’étoile qui marche Dans un ciel pur, Ou le vieux pont d’une arche Au profil dur ;
Si j’étais la voix pleine, La voix des cors, Qui fait bondir la plaine À ses accords,
Ou la Nymphe du saule Au sein nerveux Qui met sur son épaule Ses longs cheveux ;
À vous, ô charmeresse Pleine d’attraits, Élise, à vous, sans cesse Je donnerais
Ma voix, ma fleur, mon ombre Douce à chacun, Mes chants, mes bruits sans nombre Et mon parfum,
Et tout ce qui vous fête Comme une sœur. Mais je suis un poète Plein de douceur,
Qui ne sait que bruire À tous les bruits, Faire vibrer sa lyre
Au vent des nuits,
Ou, quand le jour se lève Tout azuré, S’envoler dans un rêve Démesuré.
Donc, je vous ai servie, Heureux encor De vous donner ma vie, Cette fleur d’or
Que tourmente et caresse Dans un rayon La frivole déesse Illusion ;
Mon esprit, qui s’enivre
De vos clartés, Et qui ne veut plus vivre Quand vous partez ;
Et tout ce que je souffre Si loin du jour, Et mon âme, ce gouffre Empli d’amour !
IV
Ô mon âme, ma voix pensive, Ô mon trésor échevelé, Mon myosotis de la rive, Mon astre, mon rêve étoilé !
Mon amour, ma blanche sirène, Calice d’argent où je bois,
Ô ma jeune esclave, ô ma reine, Mon poème à la douce voix !
Pourquoi, mon bel ange sans aile, Folle enfant qui me caressez, Pourquoi donc êtes-vous si belle Avec vos longs cheveux tressés ?
Oh ! quand dans nos lointaines courses, Sous l’abri des feuillages verts Nous allons cueillir près des sources Des pâquerettes et des vers,
Pourquoi le ciel bleu sur nos têtes Met-il son manteau de saphir, Et pourquoi la campagne en fêtes Rit-elle au souffle du zéphyr ?
Pourquoi dans la petite chambre, Lorsque tout bruit lointain se fond, L’air est-il comme imprégné d’ambre, L’eau pure, le divan profond ?
Enfant, sais-tu quelle puissance Nous enveloppe d’un regard, Et quels mots, de leur ciel immense, Nous disent la Nature et l’Art ?
La Nature nous dit : Poètes, À vous mes ruisseaux et mes prés, À vous mon ciel bleu sur vos têtes, À vous mes jardins diaprés !
À vous mes suaves murmures Et mes riches illusions, Mes épis, mes vendanges mûres Et mes couronnes de rayons !
L’Art nous dit : À vous mes richesses, Mes symboles, mes libertés, Mes bijoux faits pour les duchesses, Mes cratères aux flancs sculptés !
À vous mes étoffes de soie, À vous mon luxe armorial Et ma lumière qui flamboie Comme un palais impérial !
À vous mes splendides trophées, Mes Ovides, mes Camoëns, Mes Glucks, mes Mozarts, mes Orphées, Mes Cimarosas, mes Rubens !
Eh bien ! oui, l’Art et la Nature Ont dit vrai tous les deux. À nous La source murmurante et pure Qui me voit baiser tes genoux !
À nous les étoffes soyeuses, À nous tout l’azur du blason, À nous les coupes glorieuses Où l’on sent mourir la raison ;
À nous les horizons sans voiles, À nous l’éclat bruyant du jour, À nous les nuits pleines d’étoiles, À nous les nuits pleines d’amour !
À nous le zéphyr dans la plaine, À nous la brise sur les monts Et tout ce dont la vie est pleine, Et les cieux, puisque nous aimons !
V
Le zéphyr à la douce haleine Entr’ouvre la rose des bois, Et sur les monts et dans la plaine Il féconde tout à la fois.
Le lys et la rouge verveine S’échappent fleuris de ses doigts, Tout s’enivre à sa coupe pleine Et chacun tressaille à sa voix.
Mais il est une frêle plante Qui se retire et fuit, tremblante, Le baiser qui va la meurtrir.
Or, je sais des âmes plaintives Qui sont comme les sensitives Et que le bonheur fait mourir.
VI
Tout vous adore, ô mon Élise, Et quand vous priez à l’église, Votre figure idéalise Jusqu’à la maison du bon Dieu. Votre corps charmant qui se ploie Est comme un cantique de joie, Et, frémissant d’amour, envoie Son parfum de femme au saint lieu.
Votre missel a sur ses pages Bien des gracieuses images, Bien des ornements d’or, ouvrages D’un grand mosaïste inconnu ; Et fier de vous faire une chaîne, Votre chapelet noir qui traîne Redit son madrigal d’ébène Aux blancheurs de votre bras nu.
Comme un troupeau leste et vorace, On voit s’élancer sur la trace De vos chevaux de noble race Mille amants, le cœur aux abois ; Derrière vous marche la foule, Mugissante comme la houle, Et dont le chuchotement roule À travers les détours du bois.
Vous avez de tremblantes gazes, Des diamants et des topazes À replonger dans leurs extases Les Aladins expatriés, Et des cercles de blonds Clitandres Dont le cœur brûlant sous les cendres Vous redit en fadaises tendres Des souffrances dont vous riez.
Vous avez de blondes servantes Aux larges prunelles ardentes, Aux chevelures débordantes Pour essuyer vos blanches mains ; Vous portez les bonheurs en gerbe, Et sous votre talon superbe Mille fleurs s’éveillent dans l’herbe Afin d’embaumer vos chemins.
Moi, je suis un jeune poète Dont la rêverie inquiète N’a jamais connu d’autre fête Que l’azur et le lys en fleur. Je n’ai pour trésor que ma plume Et ce cœur broyé, qui s’allume, Comme le fer rouge à l’enclume, Sous le lourd marteau du malheur.
Mon âme était comme cette onde Pleine d’amertume, qui gronde En son délire, et dont la sonde N’a jamais pu trouver le fond ; Comme ce flot qu’un sable aride Absorbe de sa bouche avide, Et qui cherche à combler le vide D’un abîme vaste et profond.
Et pourtant vous, type suprême, Vous m’avez dit tout haut : Je t’aime ! Vous m’avez couché morne et blême Sur un beau lit de volupté ; Vous avez rafraîchi ma lèvre, Encor toute chaude de fièvre, Dans le doux vin pour qui l’orfèvre Poétise un cachot sculpté.
Dans vos colères de tigresse, Vous m’avait fait des nuits d’ivresse Où le plaisir, sous la caresse, Pleure le râle de la mort, Où toute pudeur se profane, Où l’ange le plus diaphane Se fait bacchante et courtisane Et grince des dents, et vous mord !
Puis vous m’avez dit à l’oreille Quelque étincelante merveille Dont la mélancolie éveille Les fibres de l’être endormi ; Vous aviez la pudeur craintive De la mourante sensitive Qui renferme son cœur, plaintive De n’être morte qu’à demi.
Et le doute railleur m’assiège Lorsque, pris dans un divin piège, Mon cou plus pâle que la neige Est par vos bras blancs enlacé. J’ai peur que le riant mensonge Du lac d’azur où je me plonge Ne soit l’illusion d’un songe Qui tenaille mon front glacé.
Or, dites-moi, rêve céleste, Pour que votre belle âme reste En proie à mon amour funeste, Les crimes que vous expiez ? Parlez-moi, pour que je devine De quel feu bout votre poitrine, Et quelle colère divine Vous met pantelante à mes pieds ?
Avez-vous surpris chez les anges Le secret des strophes étranges Qu’ils murmurent, quand leurs phalanges S’envolent dans les airs subtils ? Au Vatican, sur une toile, Avez-vous dérobé l’étoile Qu’une sainte paupière voile Avec un réseau de longs cils ?
Ô vous que la lumière adore, De quel astre et de quelle aurore Venez-vous, radieuse encore ? Je ne sais ; en vain, ce trompeur, L’espoir, me caresse et me blâme ; Je ne sais quel souffle en votre âme Alluma cette mer de flamme, Ô jeune déesse, et j’ai peur.
VII
Le soleil souriait à la jeune nature, L’hiver avait séché ses pleurs, Et la brise entr’ouvrait de son haleine pure L’humide corolle des fleurs.
Le saule aux rameaux verts penchait sa rêverie Sur les flots au reflet doré ; Le ruisseau murmurant dans la verte prairie Souriait au ciel azuré.
Or, nous étions tous deux sous les tremblantes roses Qu’épanouissait le printemps, Si que sans y penser nos amours sont écloses, Comme elles, presque en même temps.
Le rossignol disait sa plainte enchanteresse, Nous disions des serments jaloux ; Et tout en nous était joie, extase, tendresse… Hélas ! vous le rappelez-vous ?
L’arbre pensif s’incline encor, l’insecte rôde, L’églantier semble rajeunir, Le vent a son parfum, l’herbe son émeraude ; Notre amour est un souvenir !