Parfois, lorsque mon âme échappe aux soins jaloux, Je revois dans un songe épouvantable et doux, Plein d´ombre et de silence et d´épaisses ramées,
Les jardins où jadis passaient mes bien-aimées. Mais voici qu´à présent les rosiers chevelus Sont devenus broussaille et ne fleurissent plus ; Le temps a fracassé le marbre blanc des urnes ; Le rossignol a fui les chênes taciturnes ; Les nymphes de Coustou, les Sylvains et les Pans S´affaissent éperdus sous les lierres rampants ; La flouve, le vulpin, les herbes désolées Ont envahi partout le sable des allées ; Les larges tapis d´herbe aux haleine de thym, Où la lune éclairait les habits de satin Et les pierres de flamme aux robes assorties, Foisonnent maintenant de ronces et d´orties ; Dans les bassins, les flots aux sourires blafards Sont cachés par la mousse et par les nénufars ; L´étang, où tout un monde effroyable pullule, Ne voit plus sur ses joncs frémir de libellule ; Le chaume est tout couvert d´iris ; les églantiers
Pendent, et de leurs bras couvrent des murs entiers ; L´ombre triste, le houx luisant, les eaux dormantes Ont pris les oasis où riaient mes amantes ; La noire frondaison me dérobe les cieux Qu´elles aimaient, et dans ces lieux délicieux, Naguère tout remplis d´enchantements par elles, Meurt le gémissement affreux des tourterelles.