Comme le Cygne allait nageant Sur le lac au miroir d´argent, Plein de fraîcheur et de silence, Les Corbeaux noirs, d´un ton guerrier, Se mirent à l´injurier
En volant avec turbulence.
Va te cacher, vilain oiseau ! S´écriaient-ils. Ce damoiseau Est vêtu de lys et d´ivoire ! Il a de la neige à son flanc ! Il se montre couvert de blanc Comme un paillasse de la foire!
Il va sur les eaux de saphir, Laid comme une perle d´Ophir, Blanc comme le marbre des tombes Et comme l´aubépine en fleur ! Le fat arbore la couleur Des boulangers et des colombes !
Pour briller sur ce promenoir, Que n´a-t-il adopté le noir !
Un fait des plus élémentaires, C´est que le noir est distingué. C´est propre, c´est joli, c´est gai ; C´est l´uniforme des notaires.
Cuisinier, garde ton couteau Pour ce Gille, cher à Wateau ! Accours! et moi-même que n´ai-je Le bec aigu comme un ciseau Pour percer le vilain oiseau Barbouillé de lys et de neige !
Tel fut leur langage. A son tour Dans les cieux parut un Vautour Qui s´en vint déchirer le Cygne Ivre de joie et de soleil ; Et sur l´onde son sang vermeil Coula comme une pourpre insigne.
Alors, plus brillant que l´Oeta Ceint de neige, l´oiseau chanta, L´oiseau que sa blancheur décore ; Il chanta la splendeur du jour, Et tous les antres d´alentour S´emplirent de sa voix sonore.
Et l´Alouette dans son vol, Et la Rose et le Rossignol Pleuraient le Cygne. Mais les Anes S´écrièrent avec lenteur : Que nous veut ce mauvais chanteur ? Nous avons des airs bien plus crânes.
Il chantait toujours. Et les bois Frissonnants écoutaient la voix Pleine d´hymnes et de louanges.
Alors, d´autres êtres ailés Traversèrent les cieux voilés D´azur. Ceux-là, c´étaient des Anges.
Ces beaux voyageurs, sans pleurer, Regardaient le Cygne expirer Parmi sa pourpre funéraire, Et, vers l´oiseau du flot obscur Tournant leur prunelle d´azur, Ils lui disaient : Bonsoir, mon frère.