💃🎤 Paroles de chanson Française et Internationnales 🎤💃

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Artiste : Théodore De Banville
Titre : Populus
C´était dans une rue affreuse, dont les murs,
Éventrés et pourris comme des fruits trop mûrs,
Sont envahis par l´eau dormante qui les mine,
Et s´affaissent, mangés de lèpre et de vermine.

5    Là, le soleil sinistre, épouvanté, hagard,
Éclaire tristement de son vague regard
Des pavés, des tessons et des écailles d´huîtres
Et des torchons pendus aux fenêtres sans vitres.
Là je vis, s´acharnant sur quelque vermisseau,
Dans la fange et la boue infecte du ruisseau,
Une poule caduque, impotente et sans plumes,
Sèche comme le fer qu´on bat sur les enclumes.
De plus, un de ses yeux avait été crevé.
Elle sautait à bonds tremblants sur le pavé,
Avec les gestes secs et fous des automates
Et titubait, ayant la goutte à ses deux pattes.
Près d´elle, en ce désastre effroyable et complet,
Un homme de ses yeux tristes la contemplait.
C´était un malheureux. C´était le pauvre diable,

Celui dont la misère est irrémédiable
Et qui, la nuit, chemine avec les loups-garous.
Son habit n´était rien que loques et que trous;
Dans sa chemise ouverte on voyait ses mamelles,
Et ses souliers percés n´avaient plus de semelles.
Il était aussi vieux que la poule, réduit
A rien, maigre, pensif, ne faisant pas de bruit.
Sur son front dénudé par tant de jours arides
Se croisaient des réseaux de veines et de rides,
Et fauve, décharné comme elle, horrible à voir,
Il regardait la poule en mangeant son pain noir.
Or, je lui dis: Quelle est cette étrange merveille?
Comment a pu survivre une poule si vieille?
Vient-elle de Ninive ou de Jérusalem?
Bon homme, ayant duré plus que Mathusalem,

Grise, poudrée encor des antiques poussières
Et peut-être échappée au sabbat des sorcières,
Pourquoi, fermant son oeil unique au jour vermeil,
Ne s´endort-elle pas de l´éternel sommeil?
Morne, si fatiguée enfin qu´elle en est ivre,
Quelle est cette fureur de durer et de vivre?
Se traîne-t-elle donc vers le siècle futur?
Mais le déguenillé qui mangeait son pain dur,
L´homme dont un frisson glaçait chaque vertèbre,
Le vieux qui regardait la volaille funèbre,
Et semblait la couver des yeux comme un festin,
Me dit: Elle n´a pas accompli son destin.
Car pour elle et pour moi, l´Histoire se déroule
Inexorablement, et c´est la même poule
Que le roi Henri Quatre, en levant son impôt,

M´avait jadis promis de mettre dans mon pot.

Dimanche, 11 avril 1886.