C´était dans une rue affreuse, dont les murs, Éventrés et pourris comme des fruits trop mûrs, Sont envahis par l´eau dormante qui les mine, Et s´affaissent, mangés de lèpre et de vermine.
5 Là, le soleil sinistre, épouvanté, hagard, Éclaire tristement de son vague regard Des pavés, des tessons et des écailles d´huîtres Et des torchons pendus aux fenêtres sans vitres. Là je vis, s´acharnant sur quelque vermisseau, Dans la fange et la boue infecte du ruisseau, Une poule caduque, impotente et sans plumes, Sèche comme le fer qu´on bat sur les enclumes. De plus, un de ses yeux avait été crevé. Elle sautait à bonds tremblants sur le pavé, Avec les gestes secs et fous des automates Et titubait, ayant la goutte à ses deux pattes. Près d´elle, en ce désastre effroyable et complet, Un homme de ses yeux tristes la contemplait. C´était un malheureux. C´était le pauvre diable,
Celui dont la misère est irrémédiable Et qui, la nuit, chemine avec les loups-garous. Son habit n´était rien que loques et que trous; Dans sa chemise ouverte on voyait ses mamelles, Et ses souliers percés n´avaient plus de semelles. Il était aussi vieux que la poule, réduit A rien, maigre, pensif, ne faisant pas de bruit. Sur son front dénudé par tant de jours arides Se croisaient des réseaux de veines et de rides, Et fauve, décharné comme elle, horrible à voir, Il regardait la poule en mangeant son pain noir. Or, je lui dis: Quelle est cette étrange merveille? Comment a pu survivre une poule si vieille? Vient-elle de Ninive ou de Jérusalem? Bon homme, ayant duré plus que Mathusalem,
Grise, poudrée encor des antiques poussières Et peut-être échappée au sabbat des sorcières, Pourquoi, fermant son oeil unique au jour vermeil, Ne s´endort-elle pas de l´éternel sommeil? Morne, si fatiguée enfin qu´elle en est ivre, Quelle est cette fureur de durer et de vivre? Se traîne-t-elle donc vers le siècle futur? Mais le déguenillé qui mangeait son pain dur, L´homme dont un frisson glaçait chaque vertèbre, Le vieux qui regardait la volaille funèbre, Et semblait la couver des yeux comme un festin, Me dit: Elle n´a pas accompli son destin. Car pour elle et pour moi, l´Histoire se déroule Inexorablement, et c´est la même poule Que le roi Henri Quatre, en levant son impôt,