La mort est multiforme, elle change de masque Et d´habit plus souvent qu´une actrice fantasque ; Elle sait se farder, Et ce n´est pas toujours cette maigre carcasse,
Qui vous montre les dents et vous fait la grimace Horrible à regarder.
Ses sujets ne sont pas tous dans le cimetière, Ils ne dorment pas tous sur des chevets de pierre A l´ombre des arceaux ; Tous ne sont pas vêtus de la pâle livrée, Et la porte sur tous n´est pas encor murée Dans la nuit des caveaux.
Il est des trépassés de diverse nature, Aux uns la puanteur avec la pourriture, Le palpable néant, L´horreur et le dégoût, l´ombre profonde et noire, Et le cercueil avide entr´ouvrant sa mâchoire Comme un monstre béant.
Aux autres, que l´on voit sans qu´on s´en épouvante Passer et repasser dans la cité vivante Sous leur linceul de chair, L´invisible néant, la mort intérieure Que personne ne sait, que personne ne pleure, Même votre plus cher.
Car, lorsque l´on s´en va dans les villes funèbres Visiter les tombeaux inconnus ou célèbres, De marbre ou de gazon ; Qu´on ait ou qu´on n´ait pas quelque paupière amie Sous l´ombrage des ifs à jamais endormie, Qu´on soit en pleurs ou non,
On dit : Ceux-là sont morts. La mousse étend son voile
Sur leurs noms effacés ; le ver file sa toile Dans le trou de leurs yeux ; Leurs cheveux ont percé les planches de la bière, A côté de leurs os, leur chair tombe en poussière Sur les os des aïeux.
Leurs héritiers, le soir, n´ont plus peur qu´ils reviennent ; C´est à peine à présent si leurs chiens s´en souviennent. Enfumés et poudreux, Leurs portraits adorés traînent dans les boutiques, Leurs jaloux d´autrefois font leurs panégyriques ; Tout est fini pour eux.
L´ange de la douleur, sur leur tombe en prière, Est seul à les pleurer de ses larmes de pierre. Comme le ver leur corps, L´oubli ronge leur nom avec sa lune sourde ; Ils ont pour draps de lit six pieds de terre lourde. Ils sont morts ! et bien morts !
Et peut-être une larme à votre âme échappée Sur leur cendre, de pluie et de neige trempée, Filtre insensiblement. Qui les va réjouir dans leur triste demeure ; Et leur coeur desséché, comprenant qu´on les pleure, Retrouve un battement.
Mais personne ne dit, voyant un mort de l´âme :
Paix et repos sur toi ! L´on refuse à la lame Ce qu´on donne au fourreau ; L´on pleure le cadavre et l´on panse la plaie, L´âme se brise et meurt sans que nul s´en effraie Et lui dresse un tombeau.
Et cependant il est d´horribles agonies Qu´on ne saura jamais ; des douleurs infinies Que l´on n´aperçoit pas. Il est plus d´une croix au calvaire de l´âme Sans l´auréole d´or, et sans la blanche femme Echevelée au bas.
Toute âme est un sépulcre où gisent mille choses ; Des cadavres hideux dans des figures roses Dorment ensevelis.
On retrouve toujours les larmes sous le rire, Les morts sous les vivants, et l´homme est à vrai dire Une Nécropolis.
Les tombeaux déterrés des vieilles cités mortes, Les chambres et les puits de la Thèbe aux cent portes Ne sont pas si peuplés, On n´y rencontre pas de plus affreux squelettes, Un plus vaste fouillis d´ossements et de têtes Aux ruines mêlés.
L´on en voit qui n´ont pas d´épitaphe à leurs tombes, Et de leurs trépassés font comme aux catacombes Un grand entassement ;
Dont le coeur est un champ uni, sans croix ni pierres, Et que l´aveugle Mort de diverses poussières Remplit confusément.
D´autres, moins oublieux, ont des caves funèbres Où sont rangés leurs morts, comme celles des Guèbres Ou des Égyptiens ; Tout autour de leur coeur sont debout les momies, Et l´on y reconnaît les figures blêmies De leurs amours anciens.
Dans un pur souvenir chastement embaumée Ils gardent au fond d´eux l´âme qu´ils ont aimée ; Triste et charmant trésor ! La mort habite en eux au milieu de la vie ;
Ils s´en vont poursuivant la chère ombre ravie Qui leur sourit encor.
Où ne trouve-t-on pas, en fouillant, un squelette ? Quel foyer réunit la famille complète En cercle chaque soir ? Et quel seuil, si riant et si beau qu´il puisse être, Pour ne pas revenir n´a vu sortir le maître Avec un manteau noir ?
Cette petite fleur, qui, toute réjouie, Fait baiser au soleil sa bouche épanouie, Est fille de la mort. En plongeant sous le sol, peut-être sa racine, Dans quelque cendre chère a pris l´odeur divine Qui vous charme si fort.
O fiancés d´hier, encore amants, l´alcôve Où nichent vos amours, à quelque vieillard chauve A servi comme à vous ; Avant vos doux soupirs elle a redit son râle, Et son souvenir mêle une odeur sépulcrale A vos parfums d´époux !
Où donc poser le pied qu´on ne foule une tombe ? Ah ! lorsque l´on prendrait son aile à la colombe, Ses pieds au daim léger ; Qu´on irait demander au poisson sa nageoire, On trouvera partout l´hôtesse blanche et noire Prête à vous héberger.
Cessez donc, cessez donc, ô vous, les jeunes mères Berçant vos fils aux bras des riantes chimères, De leur rêver un sort ; Filez-leur un suaire avec le lin des langes. Vos fils, fussent-ils purs et beaux comme les anges, Sont condamnés à mort !