💃🎤 Paroles de chanson Française et Internationnales 🎤💃

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Artiste : Théophile Gautier
Titre : La mort est multiforme
La mort est multiforme, elle change de masque
Et d´habit plus souvent qu´une actrice fantasque ;
Elle sait se farder,
Et ce n´est pas toujours cette maigre carcasse,

Qui vous montre les dents et vous fait la grimace
Horrible à regarder.

Ses sujets ne sont pas tous dans le cimetière,
Ils ne dorment pas tous sur des chevets de pierre
À l´ombre des arceaux ;
Tous ne sont pas vêtus de la pâle livrée,
Et la porte sur tous n´est pas encor murée
Dans la nuit des caveaux.

Il est des trépassés de diverse nature :
Aux uns la puanteur avec la pourriture,
Le palpable néant,
L´horreur et le dégoût, l´ombre profonde et noire
Et le cercueil avide entr´ouvrant sa mâchoire

Comme un monstre béant ;

Aux autres, que l´on voit sans qu´on s´en épouvante
Passer et repasser dans la cité vivante
Sous leur linceul de chair,
L´invisible néant, la mort intérieure
Que personne ne sait, que personne ne pleure,
Même votre plus cher.

Car, lorsque l´on s´en va dans les villes funèbres
Visiter les tombeaux inconnus ou célèbres,
De marbre ou de gazon ;
Qu´on ait ou qu´on n´ait pas quelque paupière amie
Sous l´ombrage des ifs à jamais endormie,
Qu´on soit en pleurs ou non,

On dit : ceux-là sont morts. La mousse étend son voile
Sur leurs noms effacés ; le ver file sa toile
Dans le trou de leurs yeux ;
Leurs cheveux ont percé les planches de la bière ;
À côté de leurs os, leur chair tombe en poussière
Sur les os des aïeux.

Leurs héritiers, le soir, n´ont plus peur qu´ils reviennent ;
C´est à peine à présent si leurs chiens s´en souviennent,
Enfumés et poudreux,
Leurs portraits adorés traînent dans les boutiques ;

Leurs jaloux d´autrefois font leurs panégyriques ;
Tout est fini pour eux.

L´ange de la douleur, sur leur tombe en prière,
Est seul à les pleurer dans ses larmes de pierre,
Comme le ver leur corps,
L´oubli ronge leur nom avec sa lime sourde ;
Ils ont pour drap de lit six pieds de terre lourde.
Ils sont morts, et bien morts !

Et peut-être une larme, à votre âme échappée,
Sur leur cendre, de pluie et de neige trempée,
Filtre insensiblement,
Qui les va réjouir dans leur triste demeure ;

Et leur coeur desséché, comprenant qu´on les pleure,
Retrouve un battement.

Mais personne ne dit, voyant un mort de l´âme :
Paix et repos sur toi ! L´on refuse à la lame
Ce qu´on donne au fourreau ;
L´on pleure le cadavre et l´on panse la plaie,
L´âme se brise et meurt sans que nul s´en effraie
Et lui dresse un tombeau.

Et cependant il est d´horribles agonies
Qu´on ne saura jamais ; des douleurs infinies
Que l´on n´aperçoit pas.
Il est plus d´une croix au calvaire de l´âme
Sans l´auréole d´or, et sans la blanche femme
Échevelée au bas.

Toute âme est un sépulcre où gisent mille choses ;
Des cadavres hideux dans des figures roses
Dorment ensevelis.
On retrouve toujours les larmes sous le rire,
Les morts sous les vivants, et l´homme est à vrai dire
Une nécropolis.

Les tombeaux déterrés des vieilles cités mortes,
Les chambres et les puits de la Thèbe aux cent portes
Ne sont pas si peuplés ;
On n´y rencontre pas de plus affreux squelettes.
Un plus vaste fouillis d´ossements et de têtes
Aux ruines mêlés.

L´on en voit qui n´ont pas d´épitaphe à leurs tombes,
Et de leurs trépassés font comme aux catacombes
Un grand entassement ;
Dont le coeur est un champ uni, sans croix ni pierres,
Et que l´aveugle mort de diverses poussières
Remplit confusément.

D´autres, moins oublieux, ont des caves funèbres
Où sont rangés leurs morts, comme celles des guèbres
Ou des égyptiens ;
Tout autour de leur coeur sont debout les momies,

Et l´on y reconnaît les figures blémies
De leurs amours anciens.

Dans un pur souvenir chastement embaumée
Ils gardent au fond d´eux l´âme qu´ils ont aimée ;
Triste et charmant trésor !
La mort habite en eux au milieu de la vie ;
Ils s´en vont poursuivant la chère ombre ravie
Qui leur sourit encor.

Où ne trouve-t-on pas, en fouillant, un squelette ?
Quel foyer réunit la famille complète
En cercle chaque soir ?
Et quel seuil, si riant et si beau qu´il puisse être,
Pour ne pas revenir n´a vu sortir le maître

Avec un manteau noir ?

Cette petite fleur, qui, toute réjouie,
Fait baiser au soleil sa bouche épanouie,
Est fille de la mort.
En plongeant sous le sol, peut-être sa racine
Dans quelque cendre chère a pris l´odeur divine
Qui vous charme si fort.

Ô fiancés d’hier, encore amants, l’alcôve
Où nichent vos amours, à quelque vieillard chauve
A servi comme à vous ;
Avant vos doux soupirs elle a redit son râle,
Et son souvenir mêle une odeur sépulcrale
À vos parfums d’époux !

Où donc poser le pied qu’on ne foule une tombe ?
Ah ! Lorsque l’on prendrait son aile à la colombe,
Ses pieds au daim léger ;
Qu’on irait demander au poisson sa nageoire,
On trouvera partout l’hôtesse blanche et noire
Prête à vous héberger.

Cessez donc, cessez donc, ô vous, les jeunes mères
Berçant vos fils aux bras des riantes chimères,
De leur rêver un sort ;
Filez-leur un suaire avec le lin des langes.
Vos fils, fussent-ils purs et beaux comme les anges,
Sont condamnés à mort !