Insomnie, impalpable Bête ! N’as-tu d’amour que dans la tête ? Pour venir te pâmer à voir,
Sous ton mauvais oeil, l’homme mordre Ses draps, et dans l’ennui se tordre !… Sous ton oeil de diamant noir.
Dis : pourquoi, durant la nuit blanche, Pluvieuse comme un dimanche, Venir nous lécher comme un chien : Espérance ou Regret qui veille. À notre palpitante oreille Parler bas… et ne dire rien ?
Pourquoi, sur notre gorge aride, Toujours pencher ta coupe vide Et nous laisser le cou tendu, Tantales, soiffeurs de chimère : – Philtre amoureux ou lie amère Fraîche rosée ou plomb fondu ! –
Insomnie, es-tu donc pas belle ?… Eh pourquoi, lubrique pucelle, Nous étreindre entre tes genoux ? Pourquoi râler sur notre bouche, Pourquoi défaire notre couche, Et… ne pas coucher avec nous ?
Pourquoi, Belle-de-nuit impure, Ce masque noir sur ta figure ?… – Pour intriguer les songes d’or ?… N’es-tu pas l’amour dans l’espace, Souffle de Messaline lasse, Mais pas rassasiée encor !
Insomnie, es-tu l’Hystérie… Es-tu l’orgue de barbarie Qui moud l’Hosannah des Élus ?… – Ou n’es-tu pas l’éternel plectre,
Sur les nerfs des damnés-de-lettre, Râclant leurs vers – qu’eux seuls ont lus.
Insomnie, es-tu l’âne en peine De Buridan – ou le phalène De l’enfer ? – Ton baiser de feu Laisse un goût froidi de fer rouge… Oh ! viens te poser dans mon bouge !… Nous dormirons ensemble un peu.