đŸ’ƒđŸŽ€ Paroles de chanson Française et Internationnales đŸŽ€đŸ’ƒ

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Artiste : Victor Hugo
Titre : Claire P.
Quel ñge hier ? Vingt ans. Et quel ñge aujourd’hui ?
L’éternitĂ©. Ce front pendant une heure a lui.
Elle avait les doux chants et les grĂąces superbes ;

Elle semblait porter de radieuses gerbes ;
Rien qu’à la voir passer, on lui disait : Merci !
Qu’est-ce donc que la vie, hĂ©las ! pour mettre ainsi
Les ĂȘtres les plus purs et les meilleurs en fuite ?
Et, moi, je l’avais vue encor toute petite.
Elle me disait vous, et je lui disais tu.
Son accent ineffable avait cette vertu
De faire en mon esprit, douces voix éloignées,
Chanter le vague choeur de mes jeunes années.
Il n’a brillĂ© qu’un jour, ce beau front ingĂ©nu.
Elle Ă©tait fiancĂ©e Ă  l’hymen inconnu.
A qui mariez-vous, mon Dieu, toutes ces vierges ?
Un vague et pur reflet de la lueur des cierges
Flottait dans son regard céleste et rayonnant ;

Elle était grande et blanche et gaie ; et, maintenant,
Allez à Saint-Mandé, cherchez dans le champ sombre,
Vous trouverez le lit de sa noce avec l’ombre ;
Vous trouverez la tombe oĂč gĂźt ce lys vermeil ;
Et c’est lĂ  que tu fais ton Ă©ternel sommeil,
Toi qui, dans ta beauté naïve et recueillie,
MĂȘlais Ă  la madone auguste d’Italie
La Flamande qui rit Ă  travers les houblons,
Douce Claire aux yeux noirs avec des cheveux blonds.

Elle s’en est allĂ©e avant d’ĂȘtre une femme ;
N’étant qu’un ange encor ; le ciel a pris son Ăąme
Pour la rendre en rayons Ă  nos regards en pleurs,

Et l’herbe, sa beautĂ©, pour nous la rendre en fleurs.

Les ĂȘtres Ă©toilĂ©s que nous nommons archanges
La bercent dans leurs bras au milieu des louanges,
Et, parmi les clartés, les lyres, les chansons,
D’en haut elle sourit Ă  nous qui gĂ©missons.
Elle sourit, et dit aux anges sous leurs voiles :
Est-ce qu’il est permis de cueillir des Ă©toiles ?
Et chante, et, se voyant elle-mĂȘme flambeau,
Murmure dans l’azur : Comme le ciel est beau !
Mais cela ne fait rien Ă  sa mĂšre qui pleure ;
La mĂšre ne veut pas que son doux enfant meure
Et s’en aille, laissant ses fleurs sur le gazon,
Hélas ! et le silence au seuil de la maison !

Son pĂšre, le sculpteur, s’écriait : - Qu’elle est belle !
Je ferai sa statue aussi charmante qu’elle.
C’est pour elle qu’avril fleurit les verts sentiers.
Je la contemplerai pendant des mois entiers
Et je ferai venir du marbre de Carrare.
Ce bloc prendra sa forme éblouissante et rare ;
Elle restera chaste et candide à cÎté.
On dira : - Le sculpteur a deux filles : Beauté
Et Pudeur ; Ombre et Jour ; la Vierge et la Déesse ;
Quel est cet ouvrier de Rome ou de la GrĂšce
Qui, trouvant dans son art des secrets inconnus,
En copiant Marie, a su faire Vénus ? -

Le marbre restera dans la montagne blanche,

HĂ©las ! car c’est Ă  l’heure oĂč tout rit, que tout penche ;
Car nos mains gardent mal tout ce qui nous est cher ;
Car celle qu’on croyait d’azur Ă©tait de chair ;

Et celui qui taillait le marbre était de verre ;
Et voilà que le vent a soufflé, Dieu sévÚre,
Sur la vierge au front pur, sur le maĂźtre au bras fort ;
Et que la fille est morte, et que le pĂšre est mort !
Claire, tu dors. Ta mĂšre, assise sur ta fosse,
Dit : - Le parfum des fleurs est faux, l’aurore est fausse,
L’oiseau qui chante au bois ment, et le cygne ment,

L’étoile n’est pas vraie au fond du firmament,
Le ciel n’est pas le ciel et là-haut rien ne brille,
Puisque, lorsque je crie à ma fille : —Ma fille,
Je suis lĂ . LĂšve-toi ! — quelqu’un le lui dĂ©fend ;
Et que je ne puis pas rĂ©veiller mon enfant ! —

Juin 1854.