Titre : Je lisais. Que lisais-je? Oh! le vieux livre austère
Je lisais. Que lisais-je? Oh! le vieux livre austère, Le poëme éternel! La Bible? Non, la terre. Platon, tous les matins, quand revit le ciel bleu,
Lisait les vers d´Homère, et moi les fleurs de Dieu. J´épèle les buissons, les brins d´herbe, les sources; Et je n´ai pas besoin d´emporter dans mes courses Mon livre sous mon bras, car je l´ai sous mes pieds. Je m´en vais devant moi dans les lieux non frayés, Et j´étudie à fond le texte, et je me penche, Cherchant à déchiffrer la corolle et la branche. Donc, courbé, c´est ainsi qu´en marchant je traduis La lumière en idée, en syllabes les bruits, J´étais en train de lire un champ, page fleurie. Je fus interrompu dans cette rêverie; Un doux martinet noir avec un ventre blanc
Me parlait; il disait: O pauvre homme, tremblant Entre le doute morne et la foi qui délivre, Je t´approuve. Il est bon de lire dans ce livre. Lis toujours, lis sans cesse, ô penseur agité, Et que les champs profonds t´emplissent de clarté! Il est sain de toujours feuilleter la nature, Car c´est la grande lettre et la grande écriture; Car la terre, cantique où nous nous abîmons, A pour versets les bois et pour strophes les monts! Lis. Il n´est rien dans tout ce que peut sonder l´homme Qui, bien questionné par l´âme, ne se nomme. Médite. Tout est plein de jour, même la nuit; Et tout ce qui travaille, éclaire, aime ou détruit,
A des rayons: la roue au dur moyeu, l´étoile, La fleur, et l´araignée au centre de sa toile. Rends-toi compte de Dieu. Comprendre, c´est aimer. Les plaines où le ciel aide l´herbe à germer, L´eau, les prés, sont autant de phrases où le sage Voit serpenter des sens qu´il saisit au passage. Marche au vrai. Le réel, c´est le juste, vois-tu; Et voir la vérité, c´est trouver la vertu. Bien lire l´univers, c´est bien lire la vie. Le monde est l´oeuvre où rien ne ment et ne dévie, Et dont les mots sacrés répandent de l´encens. L´homme injuste est celui qui fait des contre-sens. Oui, la création tout entière, les choses,
Les êtres, les rapports, les éléments, les causes, Rameaux dont le ciel clair perce le réseau noir, L´arabesque des bois sur les cuivres du soir, La bête, le rocher, l´épi d´or, l´aile peinte, Tout cet ensemble obscur, végétation sainte, Compose en se croisant ce chiffre énorme: DIEU. L´éternel est écrit dans ce qui dure peu; Toute l´immensité, sombre, bleue, étoilée, Traverse l´humble fleur, du penseur contemplée; On voit les champs, mais c´est de Dieu qu´on s´éblouit. Le lys que tu comprends en toi s´épanouit; Les roses que tu lis s´ajoutent à ton âme. Les fleurs chastes, d´où sort une invisible flamme, Sont les conseils que Dieu sème sur le chemin; C´est l´âme qui les doit cueillir, et non la main.
Ainsi tu fais; aussi l´aube est sur ton front sombre; Aussi tu deviens bon, juste et sage; et dans l´ombre Tu reprends la candeur sublime du berceau. Je répondis: Hélas! tu te trompes, oiseau. Ma chair, faite de cendre, à chaque instant succombe; Mon âme ne sera blanche que dans la tombe; Car l´homme, quoi qu´il fasse, est aveugle ou méchant. Et je continuai la lecture du champ.