UN NAVIRE A L´HORIZON Je suis la tombe aussi, j´emporte les proscrits.
L´ÉPÉE Attendons le tyran.
HARMODIUS J´ai froid. Quel vent !
LE VENT Je passe. Mon bruit est une voix. Je sème dans l´espace Les cris des exilés, de misère expirants, Qui sans pain, sans abri, sans amis, sans parents, Meurent en regardant du côté de la Grèce.
VOIX DANS L´AIR Némésis ! Némésis ! lève-toi, vengeresse !
L´ÉPÉE C´est l´heure. Profitons de l´ombre qui descend.
LA TERRE Je suis pleine de morts.
LA MER Je suis rouge de sang. Les fleuves m´ont porté des cadavres sans nombre.
LA TERRE Les morts saignent pendant qu´on adore son ombre. A chaque pas qu´il fait sous le clair firmament, Je les sens s´agiter en moi confusément.
UN FORÇAT Je suis forçat, voici la chaîne que je porte,
Hélas ! pour n´avoir pas chassé loin de ma porte Un proscrit qui fuyait, noble et pur citoyen.
L´ÉPÉE Ne frappe pas au coeur, tu ne trouverais rien.
LA LOI J´étais la loi, je suis un spectre. Il m´a tuée.
LA JUSTICE De moi, prêtresse, il fait une prostituée.
LES OISEAUX Il a retiré l´air des cieux, et nous fuyons.
LA LIBERTÉ
Je m´enfuis avec eux ; ô terre sans rayons, Grèce, adieu !
UN VOLEUR Ce tyran, nous l´aimons. Car ce maître Que respecte le juge et qu´admire le prêtre, Qu´on accueille partout de cris encourageants, Est plus pareil à nous qu´à vous, honnêtes gens.
LE SERMENT Dieux puissants ! à jamais fermez toutes les bouches ! La confiance est morte au fond des coeurs farouches. Homme, tu mens ! Soleil, tu mens ! Cieux, vous mentez ! Soufflez, vents de la nuit ! emportez, emportez
L´honneur et la vertu, cette sombre chimère !
LA PATRIE Mon fils, je suis aux fers ! Mon fils, je suis ta mère ! Je tends les bras vers toi du fond de ma prison.
HARMODIUS Quoi ! le frapper, la nuit, rentrant dans sa maison ! Quoi ! devant ce ciel noir, devant ces mers sans borne ! Le poignarder, devant ce gouffre obscur et morne, En présence de l´ombre et de l´immensité !
LA CONSCIENCE Tu peux tuer cet homme avec tranquillité.