Le poëme éploré se lamente; le drame Souffre, et par vingt acteurs répand à flots son âme; Et la foule accoudée un moment s´attendrie, Puis reprend: -Bah! l´auteur est un homme d´esprit,
- Qui, sur de faux héros lançant de faux tonnerres, - Rit de nous voir pleurer leurs maux imaginaires. - Ma femme, calme-toi; sèche tes yeux, ma soeur.- La foule a tort: l´esprit c´est le coeur; le penseur Souffre de sa pensée et se brûle à sa flamme. Le poëte a saigné le sang qui sort du drame; Tous ces êtres qu´il fait l´étreignent de leurs noeuds; Il tremble en eux, il vit en eux, il meurt en eux; Dans sa création le poëte tressaille; Il est elle; elle est lui; quand dans l´ombre, il travaille, Il pleure, et s´arrachant les entrailles, les met
Dans son drame, et, sculpteur, seul sur son noir sommet Pétrit sa propre chair dans l´argile sacrée; Il y renaît sans cesse, et ce songeur qui crée Othello d´une larme, Alceste d´un sanglot, Avec eux pêle-mêle en ses oeuvres éclôt. Dans sa genèse immense et vraie, une et diverse, Lui, le souffrant du mal éternel, il se verse, Sans épuiser son flanc d´où sort une clarté. Ce qui fait qu´il est dieu, c´est plus d´humanité. Il est génie, étant, plus que les autres, homme. Corneille est à Rouen, mais son âme est à Rome; Son front des vieux Catons porte le mâle ennui. Comme Shakspeare est pâle! avant Hamlet, c´est lui
Que le fantôme attend sur l´âpre plate-forme, Pendant qu´à l´horizon surgit la lune énorme. Du mal dont rêve Argan, Poquelin est mourant; Il rit: oui, peuple, il râle! Avec Ulysse errant, Homère éperdu fuit dans la brume marine. Saint Jean frissonne: au fond de sa sombre poitrine, L´Apocalypse horrible agite son tocsin. Eschyle! Oreste marche et rugit dans ton sein, Et c´est, ô noir poëte à la lèvre irritée, Sur ton crâne géant qu´est cloué Prométhée.