Trois chevaux, qu´on avait attachés au même arbre, Causaient.
L´un, coureur leste à la croupe de marbre,
Valait cent mille francs, était vainqueur d´Epsom, Et, tout harnaché d´or, s´écriait : sum qui sum ! Cela parle latin, les bêtes. Des mains blanches Cent fois de ce pur-sang avaient flatté les hanches, Et souvent il avait, dans le turf ébloui, Senti courir les coeurs des femmes après lui. De là bien des succès à son propriétaire. Le second quadrupède était un militaire, Un dada formidable, une brute d´acier, Un cheval que Racine eût appelé coursier. Il se dressait, bridé, superbe, ivre de joie, D´autant plus triomphant qu´il avait l´oeil d´une oie. Sur sa housse on lisait : Essling, Ulm, Iéna. Il avait la fierté massive que l´on a
Lorsqu´on est orgueilleux de tout ce qu´on ignore ; Son caparaçon fauve était riche et sonore Il piaffait, il semblait écouter le tambour.
Et le troisième était un cheval de labour. Un bât de corde au cou, c´était là sa toilette. Triste bête ! on croyait voir marcher un squelette, Ayant assez de peau sous la bise et le vent Pour faire un peu l´effet d´un être encor vivant.
Le beau cheval de luxe, espèce de jocrisse, Disait :
Ici le pape, et là le baron Brisse ;
Pour l´estomac Brébant, pour l´âme Loyola ; Etre béni, bien boire et bien manger, voilà Ce que prêche mon maître ; et moi, roi de la joute, J´estime que mon maître a raison, et j´ajoute Que les cocottes font l´ornement du derby. Il faut au peuple un dieu par les prêtres fourbi, A nous une écurie en acajou, la bible Pour l´homme, et des journaux, morbleu, le moins possible. Le Jockey-Club veut mieux que l´esprit Légion. Pas de société sans la religion. Si je n´étais cheval, je voudrais être moine. - Moi, je voudrais manger parfois un peu d´avoine Et de foin, soupira le cheval paysan. Je travaille beaucoup, et je suis, jugez-en Par ma côte saignante et mon échine maigre,
Presque aussi mal traité que l´homme appelé nègre. Compter les coups de fouet que je reçois serait Compter combien d´oiseaux chantent dans la forêt ; J´ai faim, j´ai soif, j´ai froid ; je ne suis pas féroce, Mais je suis malheureux.
Ainsi parla la rosse.
Le cheval de bataille alors, plein de fureur, Indigné, bien pensant, dit : Vive l´empereur !