💃🎤 Paroles de chanson Française et Internationnales 🎤💃

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Artiste : Victor Hugo
Titre : Trois Ans après
Il est temps que je me repose ;
Je suis terrassé par le sort.
Ne me parlez pas d´autre chose
Que des ténèbres où l´on dort !

Que veut-on que je recommence ?
Je ne demande désormais
À la création immense
Qu´un peu de silence et de paix !

Pourquoi m´appelez-vous encore ?
J´ai fait ma tâche et mon devoir.
Qui travaillait avant l´aurore,
Peut s´en aller avant le soir.

À vingt ans, deuil et solitude !
Mes yeux, baissés vers le gazon,
Perdirent la douce habitude
De voir ma mère à la maison.

Elle nous quitta pour la tombe ;
Et vous savez bien qu´aujourd´hui
Je cherche, en cette nuit qui tombe,

Un autre ange qui s´est enfui !

Vous savez que je désespère,
Que ma force en vain se défend,
Et que je souffre comme père,
Moi qui souffris tant comme enfant !

Mon oeuvre n´est pas terminée,
Dites-vous. Comme Adam banni,
Je regarde ma destinée,
Et je vois bien que j´ai fini.

L´humble enfant que Dieu m´a ravie
Rien qu´en m´aimant savait m´aider ;
C´était le bonheur de ma vie
De voir ses yeux me regarder.

Si ce Dieu n´a pas voulu clore

L´oeuvre qui me fit commencer,
S´il veut que je travaille encore,
Il n´avait qu´à me la laisser !

Il n´avait qu´à me laisser vivre
Avec ma fille à mes côtés,
Dans cette extase où je m´enivre
De mystérieuses clartés !

Ces clartés, jour d´une autre sphère,
O Dieu jaloux, tu nous les vends !
Pourquoi m´as-tu pris la lumière
Que j´avais parmi les vivants ?

As-tu donc pensé, fatal maître,
Qu´à force de te contempler,
Je ne voyais plus ce doux être,
Et qu´il pouvait bien s´en aller !

T´es-tu dit que l´homme, vaine ombre,
Hélas ! perd son humanité
À trop voir cette splendeur sombre
Qu´on appelle la vérité ?

Qu´on peut le frapper sans qu´il souffre,
Que son coeur est mort dans l´ennui,
Et qu´à force de voir le gouffre,
Il n´a plus qu´un abîme en lui ?

Qu´il va, stoïque, où tu l´envoies,
Et que désormais, endurci,
N´ayant plus ici-bas de joies,
Il n´a plus de douleurs aussi ?

As-tu pensé qu´une âme tendre
S´ouvre à toi pour mieux se fermer,

Et que ceux qui veulent comprendre
Finissent par ne plus aimer ?

O Dieu ! vraiment, as-tu pu croire
Que je préférais, sous les cieux,
L´effrayant rayon de ta gloire
Aux douces lueurs de ses yeux !

Si j´avais su tes lois moroses,
Et qu´au même esprit enchanté
Tu ne donnes point ces deux choses,
Le bonheur et la vérité,

Plutôt que de lever tes voiles,
Et de chercher, coeur triste et pur,
À te voir au fond des étoiles,
O Dieu sombre d´un monde obscur,

J´eusse aimé mieux, loin de ta face,
Suivre, heureux, un étroit chemin,
Et n´être qu´un homme qui passe
Tenant son enfant par la main !

Maintenant, je veux qu´on me laisse !
J´ai fini ! le sort est vainqueur.
Que vient-on rallumer sans cesse
Dans l´ombre qui m´emplit le coeur ?

Vous qui me parlez, vous me dites
Qu´il faut, rappelant ma raison,
Guider les foules décrépites
Vers les lueurs de l´horizon ;

Qu´à l´heure où les peuples se lèvent
Tout penseur suit un but profond ;
Qu´il se doit à tous ceux qui rêvent,

Qu´il se doit à tous ceux qui vont !

Qu´une âme, qu´un feu pur anime,
Doit hâter, avec sa clarté,
L´épanouissement sublime
De la future humanité ;

Qu´il faut prendre part, coeurs fidèles,
Sans redouter les océans,
Aux fêtes des choses nouvelles,
Aux combats des esprits géants !

Vous voyez des pleurs sur ma joue,
Et vous m´abordez mécontents,
Comme par le bras on secoue
Un homme qui dort trop longtemps.

Mais songez à ce que vous faites !

Hélas ! cet ange au front si beau,
Quand vous m´appelez à vos fêtes,
Peut-être a froid dans son tombeau.

Peut-être, livide et pâlie,
Dit-elle dans son lit étroit :
-Est-ce que mon père m´oublie
-Et n´est plus là, que j´ai si froid ?-

Quoi ! lorsqu´à peine je résiste
Aux choses dont je me souviens,
Quand je suis brisé, las et triste,
Quand je l´entends qui me dit : -Viens !-

Quoi ! vous voulez que je souhaite,
Moi, plié par un coup soudain,
La rumeur qui suit le poète,
Le bruit que fait le paladin !

Vous voulez que j´aspire encore
Aux triomphes doux et dorés !
Que j´annonce aux dormeurs l´aurore !
Que je crie : -Allez ! espérez !-

Vous voulez que, dans la mêlée,
Je rentre ardent parmi les forts,
Les yeux à la voûte étoilée
Oh ! l´herbe épaisse où sont les morts !

Novembre 1846.