Mais que je suis donc heureux d´être né en Chine ! Je possède une maison pour m´abriter, j´ai de quoi manger et boire, j´ai toutes les commodités de l´existence, j´ai des habits, des bonnets et une multitude d´agréments ; en vérité, la félicité la plus grande est mon partage !
THIEN-CI-KHI, LETTRÉ CHINOIS.
Il est certains bourgeois, prêtres du dieu Boutique, Plus voisins de Chrysès que de Caton d´Utique, Mettant par-dessus tout la rente et le coupon, Qui, voguant à la Bourse et tenant un harpon, Honnêtes gens d´ailleurs, mais de la grosse espèce, Acceptent Phalaris par amour pour leur caisse, Et le taureau d´airain à cause du veau d´or. Ils ont voté. Demain ils voteront encor. Si quelque libre écrit entre leurs mains s´égare, Les pieds sur les chenets et fumant son cigare, Chacun de ces votants tout bas raisonne ainsi : Ce livre est fort choquant. De quel droit celui-ci
Est-il généreux, ferme et fier, quand je suis lâche ? En attaquant monsieur Bonaparte, on me fâche. Je pense comme lui que c´est un gueux ; pourquoi Le dit-il ? Soit, d´accord, Bonaparte est sans foi Ni loi ; c´est un parjure, un brigand, un faussaire, C´est vrai ; sa politique est armée en corsaire Il a banni jusqu´à des juges suppléants ; Il a coupé leur bourse aux princes d´Orléans C´est le pire gredin qui soit sur cette terre ; Mais puisque j´ai voté pour lui, l´on doit se taire. Ecrire contre lui, c´est me blâmer au fond ; C´est me dire : voilà comment les braves font Et c´est une façon, à nous qui restons neutres, De nous faire sentir que nous sommes des pleutres.
J´en conviens, nous avons une corde au poignet. Que voulez-vous ? la Bourse allait mal ; on craignait La république rouge, et même un peu la rose Il fallait bien finir par faire quelque chose
On trouve ce coquin, on le fait empereur ; C´est tout simple. On voulait éviter la terreur, Le spectre de monsieur Romieu, la jacquerie On s´est réfugié dans cette escroquerie. Or, quand on dit du mal de ce gouvernement, Je me sens chatouillé désagréablement. Qu´on fouaille avec raison cet homme, c´est possible Mais c´est m´insinuer à moi, bourgeois paisible Qui fis ce scélérat empereur ou consul, Que j´ai dit oui par peur et vivat par calcul. Je trouve impertinent, parbleu, qu´on me le dise.
M´étant enseveli dans cette couardise, Il me déplaît qu´on soit intrépide aujourd´hui, Et je tiens pour affront le courage d´autrui.
Penseurs, quand vous marquez au front l´homme punique Qui de la loi sanglante arracha la tunique, Quand vous vengez le peuple à la gorge saisi, Le serment et le droit, vous êtes, songez-y, Entre Sbogar qui règne et Géronte qui vote ; Et votre plume ardente, anarchique, indévote, Démagogique, impie, attente d´un côté A ce crime ; de l´autre, à cette lâcheté.